Que devient « Charlie Hebdo » ? Entretien avec Riss et Coco

Article publié dans le n°1207 (16 janv. 2019) de Quinzaines

Quatre ans après l’attentat contre « Charlie Hebdo », le 7 janvier 2015 à Paris, nous avons rencontré son actuel directeur, Laurent Sourisseau, dit Riss, et Corinne Rey, dite Coco, dessinatrice du journal.Cet entretien prolonge le dossier Cabu du précédent numéro.

Laurent Sourisseau, dit Riss.

Quatre ans après l’attentat contre « Charlie Hebdo », le 7 janvier 2015 à Paris, nous avons rencontré son actuel directeur, Laurent Sourisseau, dit Riss, et Corinne Rey, dite Coco, dessinatrice du journal.Cet entretien prolonge le dossier Cabu du précédent numéro.

Michel Juffé : Je souhaite que nous parlions de Cabu et du devenir de Charlie Hebdo. Comment Cabu a-t-il réussi à recréer Charlie Hebdo ?

Riss : Ça s’est fait par le journal La Grosse Bertha, qui a été en quelque sorte un brouillon. Le premier numéro est sorti en 1991. Le hasard a fait que c’est sorti le mois où a commencé la guerre du Golfe. J’ai découvert ce journal en kiosque. J’ai cru qu’il s’était fait contre la guerre. C’était un journal hybride qui agrégeait les gens voulant faire un journal satirique, le premier du genre créé depuis la fin de Charlie Hebdo en 1981. À cette époque, seul Le Canard enchaîné publiait des dessins.

MJ : Et aussi Plantu dans Le Monde.

Riss : Après une dispute avec l’éditeur, on est partis faire un autre journal et, au dernier moment, on s’est dit qu’on allait l’appeler Charlie Hebdo. Les lecteurs ont cru qu’on allait leur refaire le Charlie Hebdo politique de leur jeunesse, des années 1970. Mais leur jeunesse était passée… et l’on ne pouvait pas leur faire revivre ces émotions que l’on a quand on a 30 ans et que l’on découvre la vie. Vous savez très bien qu’on ne peut pas… Il a fallu se fabriquer un nouveau lectorat… les nouveaux jeunes des années 1990. On a fait un journal de dessinateurs où il y avait des journalistes, et non pas l’inverse.

MJ : Le lancement a-t-il été une réussite ?

Riss : Oui, malgré l’erreur de sortir le premier numéro en juillet. Mais il s’est quand même vendu à 120 000 exemplaires. Puis le numéro 2 beaucoup moins, et un rythme s’est établi autour de 20 000 exemplaires. On s’est posé des questions. Au bout d’un an, Val a proposé une nouvelle maquette et, tout doucement, on a regagné des lecteurs.

MJ : Il y a eu des déçus ?

Riss : Ceux qui avaient connu l’ancien Charlie ont bien vu que ce n’était pas le même. Donc on s’est adressés à un nouveau lectorat, les étudiants notamment. On faisait des conférences dans les facs. On faisait des dessins sur place. On a trouvé un public nouveau chez des gens plus jeunes. La pétition qu’on a lancée contre le Front national, en 1995-1996, a permis d’obtenir plus de 170 000 signatures et a fédéré les lecteurs autour du journal.

MJ : Comment fonctionnez-vous à la rédaction ?

Riss : À chaque comité, la question que l’on se pose est : « Qu’est-ce qui vous a indigné cette semaine ? » Le lecteur a besoin de trouver une énergie. Charlie Hebdo doit être un journal d’énervés…

MJ : Je préfère « indigné »…

Riss : Dans « énervé », il y a moins de retenue. Le dessin satirique se nourrit de cela. Le dessin a besoin d’un discours, mais l’inverse est vrai aussi.

MJ : Comment la mémoire de Cabu est-elle vécue ?

Riss : En 2015, on voulait continuer le journal pour des raisons politiques, par rapport aux terroristes : il fallait qu’il soit toujours là. Mais il y a aussi l’aspect humain : œuvrer, pour tous ceux qui s’étaient battus pendant des années, afin que le journal ne disparaisse pas. Nous voulions qu’il reste satirique. Nous avons vécu une situation étrange : pour une fois, nous étions l’actualité et non des témoins de l’actualité. En tant que journalistes, nous étions capables d’en parler ; en tant qu’acteurs, c’était presque impossible. Ce fut un grand vertige.

MJ : Et vous, Corinne ?

Coco : C’était tétanisant.

MJ : Revenons à Cabu, parlons de son implication dans l’écologie.

Riss : Il faisait partie des gens qui n’ont pas été fascinés par la société de consommation, qui se sont demandé s’il est nécessaire de produire et de consommer autant. C’est le chemin vers l’écologie, un terme qui vient après. Cabu était antinucléaire, antiautomobile. C’est aussi L’An 01 de Gébé. On arrête tout et on réfléchit.

Coco : Il faut arrêter les énergies fossiles, et le nucléaire aussi est polluant. Et s’opposer à l’invasion des déchets. C’est comme dans le film Wall-E.

MJ : Et la laïcité ?

Riss : On en parle beaucoup, parce qu’elle est remise en cause, qu’elle se dégrade. Les catholiques nous ont fait des procès pour « racisme antichrétien ». Il faut protéger la laïcité.

Coco : Au journal, tout le monde est athée, c’est basique.

Riss : Certains aimeraient créer un logo signifiant l’athéisme.

MJ : Ce serait une nouvelle religion !

Riss : Oui, mais comment rendre visible ce qui ne l’est pas ?

MJ : En adoptant la théorie de l’évolution !

Riss : Nous cherchons à produire sans cesse des idées originales, nous ne voulons pas radoter.

C’est l’esprit des fondateurs : Cavanna, Gébé.

MJ : Je pensais que c’était aussi Choron…

Riss : Choron était le « chef des ventes » et il est venu plus tard à l’écriture. Cabu et lui ne s’appréciaient pas beaucoup. Choron chantait des chansons militaires.

MJ : Et vous, Corinne, comment êtes-vous arrivée à Charlie ?

Riss (à Coco) : Comment es-tu née ? Comment as-tu grandi ?

Coco : Je suis une petite-fille de Cabu. Il m’a appris la caricature. J’étais timide dans cette équipe. Je suis arrivée à Charlie en tant que stagiaire dessinatrice. Je n’avais jamais fait de dessin de presse. J’avais écrit à Cabu. J’ai découvert des gens qui déconnaient et étaient sérieux en même temps, c’était très stimulant. Cabu est la référence en termes de caricatures. Et il était facile d’approche.

Riss : Son talent était de saisir les personnages, de montrer qui ils étaient, sous le masque.

Michel Juffé

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