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Un autre regard sur la guerre. Entretien avec Marco Magini

Dans son roman polyphonique « Comme si j’étais seul », Marco Magini a raconté les conflits de l’ex-Yougoslavie (au cours des années 1990) avec trois personnages principaux : Dražen Erdemović, jeune Serbo-Croate de 20 ans qui s’est retrouvé enrôlé dans les rangs de l’armée croate et à qui l’on a donné le choix : tuer ou être tué ; le juge espagnol Romeo González au Tribunal pénal international de La Haye ; et un casque bleu de l’ONU. L’auteur pose délibérément la question de la responsabilité des élites politiques européennes, qui n’ont rien fait pour empêcher les crimes de Srebrenica.
Marco Magini
Comme si j’étais seul
Dans son roman polyphonique « Comme si j’étais seul », Marco Magini a raconté les conflits de l’ex-Yougoslavie (au cours des années 1990) avec trois personnages principaux : Dražen Erdemović, jeune Serbo-Croate de 20 ans qui s’est retrouvé enrôlé dans les rangs de l’armée croate et à qui l’on a donné le choix : tuer ou être tué ; le juge espagnol Romeo González au Tribunal pénal international de La Haye ; et un casque bleu de l’ONU. L’auteur pose délibérément la question de la responsabilité des élites politiques européennes, qui n’ont rien fait pour empêcher les crimes de Srebrenica.

Velimir Mladenović : Pendant les guerres de l’ex-Yougoslavie, vous étiez très jeune, comme le héros de votre roman. Comment et pourquoi cette guerre vous a-t-elle inspiré ?

Marco Magini : L’inspiration de ce roman n’a pas été la guerre en ex-Yougoslavie mais la découverte du procès de Dražen Erdemović. J’avais 24 ans et j’étais en train de terminer mes études, quand, pendant une soirée entre amis, quelqu’un m’a raconté l’histoire de ce procès étonnant. Soit celle d’un jeune soldat qui, durant le massacre de Srebrenica, s’était révolté contre l’ordre de tuer. À ce moment, son commandant l’avait placé devant un dilemme ou une décision impossible : tuer ou être tué. C’est une histoire très forte, qui m’a tout de suite touché et au sujet de laquelle je me suis demandé ce que j’aurais fait à la place de ce soldat. Et la discussion lors du procès qui a eu lieu au Tribunal pénal international (TPI) m’a encore plus intéressé : est-ce que nous pouvons juger quelqu’un qui a décidé de ne pas mourir pour les vies des innocents déjà condamnés ? Est-ce que les Nations unies peuvent juger le génocide de Srebrenica, après qu’elles n’ont rien fait pour l’éviter ? Comment est-il possible de rendre la justice après un tel massacre ? Je n’ai pas décidé de raconter cette histoire tout de suite, mais dans une période difficile de ma vie. C’était la seule chose importante à ce moment-là !

VM : Comment avez-vous découvert le massacre de Srebrenica ?

MM : Il était impossible de raconter l’histoire de Dražen Erdemović sans parler de Srebrenica. Au cours de la rédaction du livre, qui a duré quatre ans, j’ai bientôt réalisé que je n’en savais pas beaucoup sur Srebrenica, l’un des plus grands massacres qui ait eu lieu en Europe, après la Seconde Guerre mondiale. Srebrenica était une notion abstraite dans ma tête et cela m’a étonné que nous, Européens, nous n’ayons pas seulement permis ce massacre chez nous, à quelques kilomètres de nos frontières, mais que les confins de la Bosnie d’aujourd’hui en portent encore les stigmates. Le monde a accepté Srebrenica et donné raison aux assassins. C’est pourquoi j’ai décidé que l’un des points de vue du roman serait celui d’un jeune casque bleu hollandais : je voulais montrer que nous, l’Occident, l’Europe, nous étions là ; nous pouvions empêcher ce massacre et nous avons décidé de ne rien faire… C’est triste de noter, en regardant la Syrie et le Yémen, que nous n’avons rien appris de Srebrenica. 

VM : Comment le roman Le Pont sur la Drina de l’auteur serbe Ivo Andrić vous a aidé à comprendre la situation des Balkans ? 

MM : Le livre d’Ivo Andrić est un chef-d’œuvre, une fresque puissante qui aide à comprendre comment certaines dynamiques, tensions et haines viennent de loin… Beaucoup plus qu’un essai d’histoire ! Comme toute grande narration, il m’a offert l’empathie nécessaire à une entente plus profonde. 

VM : Comme si j’étais seul est une histoire très actuelle dans notre monde, où il y a beaucoup de conflits. Qui porte la responsabilité dans les guerres : les citoyens ou les élites politiques ?

MM : Dans le cas des guerres des Balkans, la responsabilité est claire. Les élites des différents pays, confrontées à des tournants historiques tels que la chute du mur de Berlin et à une situation économique de plus en plus précaire, ont décidé de rallumer le feu du nationalisme et d’attiser la division entre villes et campagne pour rester au pouvoir. Le résultat en a été une guerre sanglante, qui a annihilé une génération qui ne ressentait pas le nationalisme comme sien. S’il y a une leçon que j’ai tirée des guerres des Balkans, c’est le pouvoir des mots, car les mots violents peuvent devenir des actions violentes.

VM : Vous n’avez pas écrit ce roman pour donner une réponse définitive, mais pour poser des questions. Pourriez-vous expliquer la responsabilité de l’écrivain envers ses lecteurs ?

MM : Comme je l’ai dit, j’ai été attiré par la puissance de l’histoire du protagoniste principal. Mais je me suis vite rendu compte que je ne pouvais pas écrire sur une affaire si dramatique, sans essayer de présenter le contexte historique le plus fidèlement qui soit. J’ai donc passé quatre ans à étudier, à visiter la région, à lire les minutes des procès et à essayer de comprendre… Une fois toutes ces informations rassemblées, je me suis demandé ce que je pourrais en faire et j’ai noté qu’il était important de prendre du recul par rapport à cette histoire tragique. Qui étais-je pour juger ? Dans le roman, je n’ai pas essayé de donner des réponses, parce que je ne les avais pas. J’ai seulement cherché à poser des questions d’une façon plus sophistiquée. En tant qu’auteur, j’ai ressenti le besoin d’utiliser un style et un langage qui offriraient au lecteur tous les éléments pour se faire sa propre idée, sans juger – et c’est avec cet esprit que j’ai écrit le roman. 

VM : Quels lieux avez-vous visités dans les Balkans pour faire vos recherches ? 

MM : J’ai surtout passé du temps en Bosnie, un pays que je connaissais seulement grâce aux livres du journaliste italien Paolo Rumiz. La Bosnie est merveilleuse, mais encore marquée par la guerre.

VM : Pensez-vous que, parmi beaucoup de pamphlets politiques sur cette guerre, votre roman ait réussi à changer l’image stéréotypée des Européens sur les Balkans ?

MM : Malheureusement, non. Le roman a eu beaucoup de succès en Italie, mais les stéréotypes des Italiens à propos de ce voisin qu’ils ne connaissent pas sont profonds. Pour la majorité, c’est une région barbare, seulement identifiée aux guerres des années 1990 et au meurtre des habitants de la région de Rijeka après la Seconde Guerre mondiale.

VM : Que pourriez-vous nous dire de vos futurs projets ?

MM : J’organise, avec d’autres auteurs, le deuxième festival de la littérature italienne à Londres. Et j’espère que je publierai l’année prochaine mon deuxième roman. Comme l’on sait, c’est toujours plus difficile avec un deuxième roman !

[Marco Magini, né 1985 à Arezzo (Italie), est l’auteur de Comme si j’étais seul, roman qui a été traduit en polonais, en danois et en français et qui a connu un grand succès. Il a été finaliste du prix Calvino 2013, où il a reçu la Menzione d’Onore, et finaliste du prix Strega 2014. Il a représenté l’Italie à Budapest, lors du 14e Festival du premier roman.]

Velimir Mladenović

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