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Article publié dans le n°1185 (16 déc. 2017) de Quinzaines

Empaquetés Papiers de couleur Une brassée de livres en cadeau, c’est ce que l’on (se) souhaite (à tous) en cette époque de l’année, empaquetés...

Empaquetés

Papiers de couleur

Une brassée de livres en cadeau, c’est ce que l’on (se) souhaite (à tous) en cette époque de l’année, empaquetés dans des papiers somptueux, couverts de couleurs chatoyantes. Notre sens de la fête nous orientera aisément. Vers les superbes sérigraphies de Canicule ou de L’Oracle de Delft (Trois fois par jour) par exemple. Ce leporello et ce livre sont signés Clément Vuillier, désormais bien identifié comme l’illustrateur des couvertures de la revue Reliefs – un abonnementconstitue aussi un très beau cadeau, soit dit en passant. Le livre collectif intitulé L’Iconographe (La Table ronde) assure aussi le spectacle en rassemblant sous la gouverne de Jean-Christophe Namias les couvertures imaginaires de livres qui, eux, ne le sont pas. Cinquante illustrateurs ont répondu à la question suivante : « Pour quel livre aimeriez-vous dessiner une couverture ? » Ils y ont répondu dans l’enthousiasme avec Loustal, Jean-Michel Perrin ou Tom de Pékin. À l’instar des Cent Titres (Grasset) détournés naguère par Clémentine Mélois – qui ajoutait Maudit Bic à la bibliographie de Melville –, la livrée de nos chers bouquins est devenue aire de jeux et même d’études (Martin Salisbury, The Illustrated Dust Jacket (1920-1970), Thames & Hudson). Il était temps. 

Feux de joie

Les éditions Wombat publient un jalon historique du « roman graphique » humoristique américain : C’est la jungle de Harvey Kurtzman, que Terry Gilliam a comparé à « un dieu », mais que Wolinski ne prenait que pour « un génie ». Parallèlement, En attendant l’apocalypse dévoile les profuses imaginations du créateur du Bus, Paul Kirchner (Tanibis). Entre Sergio Leone et psychédélisme, on se demande comment un seul être peut avoir de telles imaginations. C’est également la pensée à laquelle on parvient après lecture de l’Encyclopédie pratique des mauvais genres de Céline du Chéné (Nada), la chroniqueuse de l’émission de François Angelier sur France Culture. Elle a collectionné de drôles de papillons : des créateurs hors barrière, « piloriés de naissance », dit Angelier, dont l’œuvre s’érige de manière autonome et souvent bouleversante. Nuls standards pour le chaman sadomasochiste, la femme-cheval, la maîtresse à fouet, la dessinatrice obsédée par le viol ou le sculpteur mortuaire.Des vies à part comme celles de ces amateurs de cimetières et d’art funèbre : ils se gaveront de Death, a Graveside Compagnion (Thames & Hudson), une nouvelle anthologie de représentations du squelette à travers les âges, ou des 365 épitaphes dessinées au graphite et à la mine de plomb par LMG, « névroplasticienne », réunies, évidemment, dans une Fosse commune (Les Âmes d’Atala).

Sécurité brochée

Lorsque l’on cherche à faire un cadeau sans prendre de risque, le classique garantit le beau geste. Va vous aider le catalogue des éditions Plein Chant qui relancent Un gosse d’Auguste Brepson (1884-1927), l’autobiographie d’un gamin des rues, ou La Vie d’Ésope parPlanudes le Grand, une xylographie oubliée de l’érudit byzantin du XIIIe siècle. Dans le goût urbain, Le Dilettante réédite Le Vin des rues, le récit très vivant et dionysiaque du copain de Doisneau, Robert Giraud, à travers les bistroquets de la capitale, dont Alfred Delvau explorait un siècle plus tôt Les Dessous de Paris (Lurlure). Chez les prolétariens, L’Échappée relance Jours de famine et de détresse de Neel Doff. Chez les terroristes, on redécouvre Ce qui ne fut pas de Boris Savinkov (Prairial) et chez les proches de Karl Marx, l’inédit fantasque de Georg Weerth, Vie et faits du fameux chevalier Schenapahnski (RN éditions). Et si l’on souhaite de l’Américain, Camille Estienne a traduit Cœur indigné (Plein Chant), l’autobiographie d’un ouvrier noir américain, petit-fils d’esclave, Charles Denby (1907-1983), qui sera l’allié naturel de la nouvelle édition de La Route au tabac d’Erskine Caldwell (Belfond), chef-d’œuvre d’une terrible sobriété, cependant tout à fait délirant (en plus d’être lumineux) dans son observation de la misère des campagnes américaines durant la grande crise. Caldwell, c’est un peu Beckett visitant Brecht. 

Béton contraint

Après la poussière, la pierre. Dans le très beau catalogue de l’exposition du musée Zadkine, Être pierre (Paris-Musées) se dévoile le fascinant collier fossile de Katie Paterson (Fossil Necklace, 2013) : il est composé de 170 perles fossiles d’âges géologiques variés. On reste éblouis par lithos, comme l’était Roger Caillois (Lecture des pierres, Xavier Barral) ou comme Aurore Bagarry peut l’être par les Glaciers. Dans un deuxième volume de photographies magnifiques, elle poursuit son inventaire des principaux glaciers du Mont-Blanc (H’artpon) et nous pousse à nous interroger sur notre obstination à vivre entre bitumes et bétons. Benoît Fougeirol s’est interrogé sur les effets d’urbanisation à travers cadastres et plans, zonages et dessins découpés (Zus, X Artist’s Books) tandis que l’Atlas of Forms d’Éric Tabuchi, passionnant livre de 1 500 images provenant de l’architecture et de ses géométries parfois improbables, nous captive comme autrefois le catalogue de Manufrance. Y est établie une taxinomie de notre monde tel qu’il est proposé par un marchand de couleurs et d’outillage universel. L’Homme qui construit lance sa boutique dans une ronde somptueuse et folle. Du béton, des pierres et des couleurs on en trouve encore dans Le Gazouillis des éléphants (Le Sandre), où Bruno Montpied fait l’inventaire de tous les sites d’art brut et naïf de France. Pour être précis, il s’agit de la Tentative d’inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, excentriques, loufoques, brindezingues, ou tout simplement inventifs, passés, présentés et en devenir, en plein air ou sous terre (quelquefois en intérieur), pour le plaisir de leurs auteurs et de quelques amateurs de passage. Ça, ce n’était que le sous-titre, imaginez le volume de 950 pages généreusement illustrées… 

Pour se remettre

Reprendre une vie saine, ce sera l’enjeu du mois de janvier. Il faudra se procurer des produits de régime qui n’ont pas encore fait leur apparition chez les libraires : Microfilm d’Emmanuel Villin (Asphalte), l’auteur de Sporting Club (Asphalte). Élégant toujours, il transporte un homme tout en décalages jusqu’à des bureaux improbables de la place Vendôme – dont on ne peut assurer qu’elle existe, en vérité. Jean Berthier reçoit 1 144 Livres (Belfond) d’une mère défunte et se lance dans l’exploration des révélatrices bibliothèques familiales des dernières décennies du siècle dernier. Émile Brami dénonce Notre crime (Écriture), à travers le roman d’un autre héritage, celui du mal famé Azed, mystérieux personnage. Un récit diablement bien tressé. Son épigraphe est sans détour : « Je peins souvent des hommes sur un mauvais papier […]. La vérité est terrifiante. Mais je couvre ma feuille trait par trait » (Hermann Hesse). L’histoire des fils commence toujours avec celles de leurs pères…

Eric Dussert