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VITRINE EN COURS…

Article publié dans le n°1220 (01 oct. 2019) de Quinzaines

Vêtures  Velours C’est imparable, dès qu’arrive le mois de septembre, l’atavisme commande, outre la tonte des écoliers, une accumulation de te...

Vêtures 

Velours

C’est imparable, dès qu’arrive le mois de septembre, l’atavisme commande, outre la tonte des écoliers, une accumulation de textiles chauds. Si l’on n’assiste pas à cette occasion aux effroyables scènes de violence que procure le grand solde barbare de l’hiver, une hibernation, tout de même, ça se prépare. Ce qui explique que cet automne les éditeurs proposent plusieurs opus relatifs à notre vêture : Le Bouquin de la mode d’Olivier Saillard (Laffont, octobre 2019), par exemple, où figurera en bonne place Charles Frédéric Worth (1825-1895), le créateur français du prêt-à-porter et l’un des héros des âges premiers de la « haute couture ». Il avait, bien avant Chanel ou Lacroix, habillé les formes des notabilités, et en particulier celles de la comtesse Greffulhe, pour laquelle il conçut « la robe au lys » de l’hiver 1896. Un sublime écrin de velours noir, satin et tulle de soie ivoire rebrodée de perles de verre nacré et de paillettes métalliques, à ce point mémorable que la rédactrice en chef des Enjeux-Les Échos, Marie-Paule Virard, lui consacre l’un des trente chapitres de son recueil panoramique Les Inventeurs du monde moderne (Vendémiaire). Avec la « Bibliothèque rose » de Louis Hachette, le téléphone de Charles Bourseul, les présyndicalistes briseurs de machines textiles à Vienne (Isère) de février 1819 et les bains de mer de la duchesse de Berry, la modernité de cette robe sans armature de fessier ni couture à la taille était révolutionnaire.

Laine bouillie

Puisque l’histoire anecdotique plaît, il faut signaler qu’Yvane Jacob donnera en octobre (Laffont aussi) Sapé comme jadis. 60 histoires de vêtements (et de gens importants) pour compléter notre culture générale. On y apprendra pourquoi le Che portait un béret basque… Suspense. 

Travaux d’aiguille

« Pas de théâtre sans costume. Pas de roman sans garde-robe. » Sur ce constat, Martine Boyer-Weinmann et Denis Reynaud ont établi ce qui sera probablement l’un des essais remarquables de la rentrée, le Vestiaire de la littérature (Champ Vallon). Ils y ont collecté « cent petites confections », précieux magasins où, au-delà de la « vestignomonie » de Balzac, sont rangées mille et une proses. On y trouve du short et du panty, du smoking et de la redingote. On peut y aller en tongs ou en bottes d’équitation, tout est permis, y compris le vert, malgré son instabilité chimique déclarée par Michel Pastoureau… Sous la plume de Pierre Pachet, Mario Vargas Llosa, Marcel Cohen, Gérard Genette, Jules Vallès, Pierre Jakez Hélias, Hélène Cixous, Jacques Roubaud, Antoine Oudin, Casanova, Frédéric Dard ou Elsa Triolet – chez qui Le premier accroc coûte deux cents francs (1945), comme l’on sait – (on note l’absence de la couturière Marguerite Audoux et de son Atelier de Marie-Claire de 1920), toutes les pièces de vêtement, du dessous de la semelle au sommet du huit-reflets, en passant par le string, prennent leur place dans l’histoire littéraire. Les deux auteurs ont prévu une « Extension du domaine du tee-shirt » puisque désormais ce chiffon prévaut, même s’il n’a d’intérêt que sa surface enluminable et qu’il rivalise pour le dernier rang de l’élégance avec la chemisette. Les index nominum, rerum et colorum font de ce livre ce que l’on nomme justement chez les « fashion victims » et les sapeurs un must (have).

Débardeurs

Le traducteur et romancier Brice Matthieussent a profité d’une invitation académique en Russie pour faire connaissance avec la Pétersbourg d’Andreï Biély (éditions des Syrtes, 2018). D’où le récit de ses surprises dans Les Jours noirs. Nous nous retrouverons à Saint-Pétersbourg (Arléa, 2019). Il s’y enquiert en particulier « d’époustouflantes jeunes Russes, grandes, élancées, conscientes de leur jeunesse et de leur beauté, qui se dévêtent à la moindre occasion : sitôt entrées dans un établissement public, elles ôtent avec une langueur théâtrale, comme autant de pelures d’oignon, les vêtements qui les protègent du froid extérieur : manteau au col et aux manches bordés de fourrure, veste chamarrée, chandail brodé, gilet à sequins, pour se retrouver […] en tee-shirt moulant, débardeur minimal, corsage à manches courtes, les fines bretelles foncées du soutien-gorge souvent visibles sur leurs rondes épaules crémeuses ou cuivrées ». Combinant pudeur et désir de séduire, elles ont produit sur le visiteur un effet « plus inédit, exotique et intéressant que les splendeurs de la ville ».

Tricot

Sur la couverture de la quarante-sixième livraison de la revue Quarto, l’écrivain suisse Jean-Marc Lovay arbore quant à lui un magnifique pull tricoté main et un pantalon de velours. La photographie date des années 1970. Nul besoin de farfouiller dans le fascicule à la recherche de la rubrique « Crédits » pour la dater, la mode parle. De plus, ce grand prosateur est aussi peu soucieux des apparences que de la réimpression de ses romans – cherchez pour voir Les Régions céréalières (Gallimard, 1976), un chef-d’œuvre dont la réputation formidable ne favorise apparemment pas la remise en vente. Il faut donc profiter de ce numéro d’hommage pour souligner son extraordinaire talent. Par bonheur, son ami Bernard Wallet, fondateur des éditions Verticales et auteur du magnifique Paysage avec palmiers (rééd. Tristram, 2016), dit à son propos l’essentiel avec économie : « Jean-Marc Lovay est rétif à toute forme d’ordre ou de discipline. / Sa coiffure en est le témoin. // Jean-Marc Lovay ne porte jamais de costume. // Jean-Marc Lovay distille et boit sa propre eau-de-vie. // Jean-Marc Lovay n’habite notre planète que fort irrégulièrement ». Publié par Gallimard puis par Zoé, cet authentique rebelle attend ses lecteurs sans trop d’impatience. Il sait bien que les grandes œuvres sont indémodables.

Soieries

Sans âge, pareillement, la prose de la Franco-Nippone Kikou Yamata (1897-1975), dont les éditions du Lierre embrassant la muraille (15, rue Royale 69001 Lyon) rééditent en un seul volume deux œuvres remarquables : Masako et La Trame au milan d’or (2019). Cette fille de l’empire du Soleil-Levant épousa un diplomate lyonnais et, avec les encouragements de Paul Valéry et du Tout-Paris, promut une littérature à la fois élégante et exotique qui prolongeait la vogue japonisante de la seconde moitié du siècle précédent. Tandis que la mère du poète Yves Martin, amie de Coco Chanel, relançait la mode du kimono, Kikou Yamata racontait l’histoire des amours de la mousmé Masako (1925) en un concentré de culture japonaise qui fit grand plaisir aux amateurs d’exotisme. Le statut de la femme japonaise n’était alors pas aussi doux que la caresse de la soie, cependant.

Broderies

Du Japon aussi, Albert Einstein a retenu la soie dans son Journal de Voyage de 1922-1923 (traduction de Stéphane Zékian, préface de William Marx, Rivages, 2019). Il visita alors l’Extrême-Orient, la Palestine et l’Espagne. Le savant est encore tout neuf dans ses entours de génie célébré. « 17 [décembre 1922]. Visite d’un magasin de soie avec ma femme. Splendides broderies de paysages et d’animaux. » On découvre ici Einstein sans filtre, tel qu’en lui-même, impréparé au choc des cultures. Ce pourquoi certainement percent quelques pointes inattendues mais d’époque, bénignes toutefois au milieu des traits d’humour du savant, dont l’humanisme se lit évidemment, naissant. Contrairement au Japon, Shanghai lui déplut fort.

Eric Dussert