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Article publié dans le n°1044 (01 sept. 2011) de Quinzaines

Qui suis-je ? Suis-je bien quelqu’un ? se demande Melvil Poupaud à travers récits biographiques, journaux intimes, scénarii, réflexions sur le cinéma, archives photographiques…
Melvil Poupaud
Quel est mon nom ?
(Stock)
Qui suis-je ? Suis-je bien quelqu’un ? se demande Melvil Poupaud à travers récits biographiques, journaux intimes, scénarii, réflexions sur le cinéma, archives photographiques…

Son livre nous répond : il est chacun de ceux qu’il a croisés, connus, aimés ; qu’il a, ou va, ou rêve d’incarner ; ceux qu’il dévore à la lecture : « J’ai poussé l’identification aux poètes jusqu’à la folie. Ou plutôt jusqu’à vouloir me croire fou. »

Sous prétexte de parler de lui, qu’il prétend ne pas exister, il suggère une méditation sur le métier d’acteur, sur l’art du cinéma, sur l’art en général, et même sur l’existence. Ce qui serait très prétentieux si l’exercice manquait d’humour et d’invention. Or, c’est tout le contraire.

N’en doutons pas, il fut à bonne école, quand, à 11 ans, il fut acteur pour Raúl Ruiz, dans La Ville des pirates – une chance que sa mère, attachée de presse pour le cinéma, accepta de lui laisser courir. On peut lire tout le livre comme la mise en pratique des leçons prodiguées par le maître d’origine chilienne, demeuré son ami depuis ce film inaugural (1).

Que lui enseigne le cinéaste prolifique et passionnant ? Qu’on peut considérer différentes voies de connaissance : associative (en pratiquant les jeux de la correspondance), littérale (en s’en tenant à la biographie), doxale (en annexant des commentaires), fabulaire (en se livrant à l’invention), etc. Melvil Poupaud évoque la manière dont fonctionne l’esprit du cinéaste en décrivant son lieu d’habitation :

« À force de coloniser son immeuble et les immeubles voisins, Raúl a fini par construire un véritable labyrinthe, tapissé de livres et de K7 vidéo, qui n’a cessé, depuis son arrivée en France, de s’étendre sur toute une portion du boulevard de Belleville… Je me mis à parcourir ce réseau de couloirs infinis comme autant de synapses qui, depuis ma dernière visite, avaient encore évolué, et dans lesquelles les livres et les films entreposés devaient opérer comme des milliards de connexions dans le cerveau ruizien… » Métaphore suggestive de l’art du cinéaste, qui l’inspire dans sa vie et son livre, où l’on retrouve justement la narration biographique, la fable, les commentaires d’autrui en bas de pages, et les photographies qui font conversation les unes avec les autres.

Autre père putatif : Serge Daney, qu’il fréquenta jusqu’à la mort de ce dernier, dont il retint de belles sentences : « … L’important, c’est que le conte soit juste », ou encore, ce dialogue entre eux deux : « – Pourquoi ce beau plan ne dure-t-il pas plus longtemps ? – Parce qu’il ne sait pas qu’il est beau ! »

Que Melvil Poupaud ait joué dans les films des plus grands (outre Ruiz, Doillon, Ozon, Desplechin, Cassavetes…), qu’il ait vécu avec Chiara Mastroianni, la fille de Marcello et de Catherine Deneuve, n’est pas ce qui retient le plus. On aime davantage sa manière de passer d’un rôle dans un film à un rôle dans sa vie (en marge d’un tournage où il s’ennuie, il joue à être Marcel Duchamp dans un film qu’il invente), de l’écriture d’un scénario à une réflexion qui ne manque pas de force sur l’art du comédien.

  1. Raúl Ruiz vient de mourir ce 19 août à Paris. La Quinzaine littéraire a rendu compte de ses films dans les numéros 213, 303, 388, 405, 695 et 764.
Marie Etienne

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