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Le chaos climatique ambiant

Parmi les multiples ouvrages dont la publication précède la tenue à Paris en décembre de cette année de la 21e conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP21), ce livre est remarquable à plus d'un titre : écrit à plusieurs mains et s'achevant sur un appel à la société civile, il offre une description très précise du chaos climatique auquel est confrontée l'humanité, une analyse sans concession du bal des faux-semblants et des pseudo-solutions auquel se livrent périodiquement les conférences internationales sur le climat ; il propose enfin quelques pistes sérieuses pour une alternative dont l'urgence ne fait plus de doute. Retenons cette seule phrase de l'introduction : "Malgré des négociations internationales dont la durée cumulée dépasse une année entière depuis le sommet de Rio de 1992, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de plus de 60% sur la période qui court jusqu'à aujourd'hui."

NAOMI KLEIN, VANDANA SHIVA,
JEAN JOUZEL, SUSAN GEORGE,
DESMOND TUTU, BILL MCKIBBEN,
GENEVIÈVE AZAM, PABLO SOLÓN…
CRIME CLIMATIQUE STOP !
L’appel de la société civile Seuil, coll. « Anthropocène », 316 p., 15 €

Parmi les multiples ouvrages dont la publication précède la tenue à Paris en décembre de cette année de la 21e conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP21), ce livre est remarquable à plus d'un titre : écrit à plusieurs mains et s'achevant sur un appel à la société civile, il offre une description très précise du chaos climatique auquel est confrontée l'humanité, une analyse sans concession du bal des faux-semblants et des pseudo-solutions auquel se livrent périodiquement les conférences internationales sur le climat ; il propose enfin quelques pistes sérieuses pour une alternative dont l'urgence ne fait plus de doute. Retenons cette seule phrase de l'introduction : "Malgré des négociations internationales dont la durée cumulée dépasse une année entière depuis le sommet de Rio de 1992, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de plus de 60% sur la période qui court jusqu'à aujourd'hui."

Selon Naomi Klein, le changement climatique, que nous avons la plus grande difficulté à comprendre car notre culture est celle du présent perpétuel, est une affaire universelle appelant une réponse collective sans précédent historique. Au coeur de ce processus se loge ce phénomène essentiel : ce qu’ont fait les générations qui nous précèdent aura des conséquences inévitables, non seulement pour le présent, mais pour de nombreuses générations à venir. Or, le langage nécessaire pour envisager de telles échelles de temps nous fait défaut, il est absent de notre propre culture, qui est comme un engin propulsé par les énergies fossiles se ruant à toute vitesse vers les prochaines élections ou le divertissement à venir.

Le changement climatique est une question de temps et une question de lieux. « Le problème n’est pas seulement que nous bougeons trop vite. C’est aussi que l’échelle à laquelle les changements se produisent est micro-locale. » Produits d’une société industrielle dopée aux combustibles fossiles, nous sommes comme des gens « hors-sol » qui devons d’urgence ré-atterrir en des lieux concrets ; car si nous voulons participer au plus grand combat que nous aurons à mener de notre vivant, nous avons tous besoin d’occuper notre territoire comme une zone à défendre. Pour leur part, Jean Jouzel et Valérie Masson-Delmotte, experts français du climat, rappellent que les conclusions du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont claires : le réchauffement observé depuis le milieu du siècle dernier est sans précédent depuis des millénaires ; il est indubitable que ses causes essentielles sont d’origine anthropique ; la poursuite des émissions des gaz à effet de serre impliquera la continuation, et probablement l’aggravation, du réchauffement global. « Il est donc vitalde modifier en profondeur notre mode de développement », affirment-ils en conclusion de leur contribution.

Or, en se tenant à une méthodologie du « laissez faire, laissez passer », les négociations sur le climat qui se succèdent depuis une vingtaine d’années ne modifient en rien la trajectoire suicidaire sur laquelle l’humanité est engagée. Et celle de Paris n’y changera rien car, comme précédemment, la logique du capital y prévaudra et s’opposera à tout ce qui pourrait entraver le mouvement des affaires et le pillage des ressources ; elle favorisera, à l’inverse, l’accélération des affaires et la création de nouveaux business comme celui que permet la création d’un marché carbone et, plus globalement, celui des biens et des services environnementaux. Pablo Solón, qui parle d’expérience puisqu’il fut notamment négociateur en chef de la Bolivie sur le changement climatique et ambassadeur de ce pays aux Nations unies de 2009 à 2012, démontre à quel point logiques du capital et du pouvoir sont étroitement imbriquées dans ces conférences. Dominée par la logique du pouvoir, la politique est l’art du possible, et le possible ne permet pas de s’attaquer aux émissions de gaz à effet de serre « sans se confronter au capital et mettre ainsi en péril [les positions acquises] dans les dispositifs du pouvoir » ; Et, selon Pablo Solón, même si certains gouvernements rompent parfois avec ce schéma suicidaire des négociations du possible, les structures du pouvoir, existant conjointement au niveau international et à celui de chaque État, sont là pour les discipliner, et finalement « les négociations en coulisses concernent assez peu le changement climatique, mais surtout la gestion des affaires courantes de gouvernements qui sont au pouvoir et veulent rester au pouvoir », poursuit Pablo Solón. La véritable lutte contre le changement climatique est indissociablement liée à la lutte contre les logiques jumelles du capital et du pouvoir ; et si on ne construit pas, à partir de la société civile, un rapport de force qui inverse les logiques dominantes, « on ne pourra pas empêcher la planète de brûler ». Inverser ce rapport de force passe par une réflexion critique sur les moyens techniques mis en oeuvre pour faire face au réchauffement. Ainsi, aux États-Unis, pour certains conservateurs, la manipulation du climat représenterait le triomphe de l’intelligence humaine. Pour résumer, « si le changement climatique menace de déstabiliser le système, la géo-ingénierie promet de le protéger », écrit Clive Hamilton. Pour un certain nombre d’entreprises américaines, il est tout à fait judicieux de tirer profit de l’alarme climatique en soutenant que les mesures visant à réduire la consommation de combustibles fossiles sont irréalistes et que la raison dicte de faire des recherches en ingénierie du climat afin de faire face au pire. On ne peut que s’inquiéter en constatant que le gouvernement chinois a inscrit la géo-ingénierie dans les priorités de la recherche en géosciences. Pour résumer : « Qu’elle soit mise en oeuvre de Washington ou de Pékin, s’il existe quelque chose que l’on pourrait qualifier de technologie de droite, il s’agit bien de la géo-ingénierie », ironise Clive Hamilton. L’imaginaire technoscientifique déborde de promesses pour délivrer l’humanité de la malédiction du réchauffement ; il y a donc bien un combat à mener sur le terrain des solutions techniques, en commençant par affirmer que ces dernières ne résident pas dans une fuite en avant dans les méthodes qui nous ont conduits là ; ensuite, en empruntant le chemin de la sobriété ; enfin, en puisant dans le vaste répertoire des low tech ou basses technologies. Philippe Bihouix analyse la faisabilité de ces dernières. Elles reposent sur trois principes : réduction équitable de nos besoins ; volonté d’une production durable en orientant le savoir et la recherche vers l’économie des ressources ; et, pour cela, sortie de la société de l’accélération.

En conclusion, Geneviève Azam souligne la nécessité de revenir à l’action politique, en formant l’hypothèse qu’il n’est jamais trop tard pour qu’advienne un sursaut démocratique susceptible d’amorcer un vrai tournant dans les politiques qui n’ont fait qu’accompagner le désastre climatique en cours. « Malgré les menaces, nous avons des raisons d’espérer », écrit-elle, en insistant sur la nécessité de saisir la portée de l’émergence, partout dans le monde, de mouvements très divers qui se sont emparés « de questions se logeant au croisement du souci de la nature et de la protection des sociétés », dont la lutte contre le réchauffement climatique est l’un des emblèmes et dont ils ont fait une question politique : comment assurer collectivement la permanence d’une vie réellement humaine sur une Terre qui ne soit plus dévastée par l’agir économique à courte vue ? Ce qui est en jeu, c’est un changement de civilisation « dont les mobilisations en cours sont déjà la préfiguration », précise Geneviève Azam, évoquant « les millions d’initiatives concrètes qui d’ores et déjà dessinent un post-capitalisme, un post-productivisme et une démocratie fondée sur l’horizontalité des coalitions et des prises de décision ».

Jean-Paul Deléage

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