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Barthes illustré

 Un fort volume à la couverture rutilante qui surprend : en lettres d’affiche à la Times Square, sur trois lignes : MYTHOLOGIES BARTHES. De 1954 à 1956, Roland Barthes a publié ses réflexions sur l’actualité, « mon actualité » précisait-il. Sauf deux textes, ces mythologies ont paru dans Les Lettres Nouvelles. La postface de l’ouvrage rappelle le rôle moteur qu’a eu Maurice Nadeau dans la rédaction de ces chroniques mensuelles devenues un « livre-culte », comme on dit.
Roland Barthes
Mythologies
(Seuil)
 Un fort volume à la couverture rutilante qui surprend : en lettres d’affiche à la Times Square, sur trois lignes : MYTHOLOGIES BARTHES. De 1954 à 1956, Roland Barthes a publié ses réflexions sur l’actualité, « mon actualité » précisait-il. Sauf deux textes, ces mythologies ont paru dans Les Lettres Nouvelles. La postface de l’ouvrage rappelle le rôle moteur qu’a eu Maurice Nadeau dans la rédaction de ces chroniques mensuelles devenues un « livre-culte », comme on dit.

Faut-il rappeler que ni dans les livraisons des Lettres Nouvelles, ni dans le livre du Seuil qui rassemblait ces chroniques en 1957, on ne trouve la moindre image ?

« La matière de cette réflexion… (un article de presse, une photographie d’hebdomadaire, un film, un spectacle, une exposition) » n’existe que reflétée par Barthes, par des écrits éclairés, par la sensibilité et l’intelligence de Roland Barthes et par la thèse qui oriente son regard : sa souffrance à voir « à tout moment confondues dans le récit de notre actualité, Nature et Histoire ».

Pourquoi donc cette édition ? Cet objet à la vêture aguichante ? Et l’on essaie d’imaginer la « mythologie » qu’il aurait inspiré à Barthes.

La surprise est l’un des maîtres mots, explicites ou sous-entendus des Mythologies. Elle s’annonce dès les « attaques » (le vocabulaire de la musique convient à Barthes) ou, comme on commençait à l’écrire à tout-va, les incipits suscitent l’attente, un suspens qui ira vers une mise à mal incisive de la doxa. Cette surprise et son suspens qui lui est attaché procèdent souvent de la même façon : deux faits qu’on n’a pas coutume d’associer, deux mots qui n’appartiennent pas à la même langue, la prise en biais d’une évidence…

Ainsi la première mythologie : L’acteur d’Harcourt. « En France on n’est pas acteur si l’on n’a pas été photographié par les studios d’Harcourt. » Question : en 1954 tous les lecteurs connaissaient le nom de ce studio alors fameux. Aujourd’hui cette mythologie serait-elle devenue vaine sans les photos de quelques acteurs, dont les noms pour beaucoup sont aussi oubliés que celui d’Harcourt ? L’essentiel est dans le mot « acteur », démystifié par Barthes promoteur du Théâtre populaire.

Démystifié aussi l’argumentaire et la mise en scène du procès Dominici : six photographies de presse reproduites ici : les acteurs du procès, avocats, magistrats et deux écrivains, Giono et Salacrou. Et le visage indéchiffrable du vieux Gaston Dominici, dit aussi le « Patriarche de la Grande Guerre ». L’incipit de Dominici, sans qualificatif, déporte tous les discours sur le crime de Lurs. « Tout le procès Dominici s’est joué sur une certaine idée de la psychologie, qui se trouve être comme par hasard celle de la littérature bien-pensante. » C’est là « le secret d’un regard », commentaire des photogrammes de Dominici. Nul besoin de l’image comme pièce à conviction, sauf à la regarder à neuf, guidés par le jugement bref et décisif de Barthes. Ce n’est pas un profit négligeable.

Autres photogrammes. Identique sauf à la racine de la doxa : « Match nous a raconté une histoire qui en dit long sur le mythe petit-bourgeois du Nègre » (Bichon chez les Nègres).

L’attention de Barthes aux incipits se manifeste, jusqu’à troubler le lecteur – Barthes en a conscience –, dans l’intitulé d’une conférence au Collège de France en 1978 : « Longtemps je me suis couché de bonne heure. »

Une attaque contraire à celle des mythologies. Sauf qu’elle conduit à revoir la lecture hâtive de la Recherche, et, peut-être, le sens même de cet incipit ; sans doute y est-il inclus le redoublement, en rime, du « temps » initial et du « temps » conclusif, des milliers de pages plus loin. Mais Barthes note surtout que l’incipit de la Recherche couvre une cinquantaine de pages qui « tient rasemblée dans sa vue toute l’œuvre proustienne ».

Pourquoi, demandera-t-on à nouveau, illustrer les Mythologies, œuvre de langage ? Les illustrations joueraient-elles un rôle aussi éclairant que les esquisses des carnets de Proust ? L’assimilation ne tient pas. La présentatrice de cette édition des Mythologies écrit elle-même : « À partir de photographies errantes, vues ou entrevues, Roland Barthes recompose pour ainsi dire une image d’images dont le statut restera à jamais littéraire. »

On peut néanmoins trouver plaisir à retrouver sous le couvert d’Harcourt, les traits de Danielle Delorme. Ou éprouver du trouble en découvrant le visage d’un jeune garçon du Mississippi, enlevé, battu, mutilé, jeté dans la rivière en 1955 pour avoir sifflé une femme blanche.

C’est au sort fait à tous les Emmett Louis Till que s’en prend Basquiat, et pas seulement sur ses œuvres où le Mississippi est explicitement désigné. Le nom de Basquiat n’apparaît pas chez Barthes, analyste le plus aigu de l’ami de Basquiat, Cy Twombly sur lequel on relira les deux grands textes de Barthes.

Cette photographie du jeune Till à l’âge où Basquiat s’était déjà engagé contre la société bourgeoise blanche de New York, cette photo, suffit à mes yeux à rendre précieux ce volume de Mythologies illustrées.

Georges Raillard

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