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Désirer la pluie et la craindre

Article publié dans le n°1060 (01 mai 2012) de Quinzaines

Animaux météorologiques, les humains désirent souvent la pluie ; ils l’implorent ; ils prient. Ils la redoutent. Ils se protègent ; ils inventent les manteaux de pluie, les chapeaux, les parapluies. Ils obéissent à des rituels variés.

EXPOSITION
LA PLUIE
Musée du quai Branly
37 quai Branly, 75007 Paris
6 mars – 13 mai 2012

Catalogue
Musée du quai Branly/Beaux Arts éditions, 44 p.,
nb. ill., 8,50 €

Animaux météorologiques, les humains désirent souvent la pluie ; ils l’implorent ; ils prient. Ils la redoutent. Ils se protègent ; ils inventent les manteaux de pluie, les chapeaux, les parapluies. Ils obéissent à des rituels variés.

Sous la pluie, les humains chantent ; ils dansent ; ils travaillent ; ils voyagent ; ils s’aiment ; ils sont mélancoliques. Sous la pluie, ils vivent dans la joie et dans le deuil, dans la fécondité et dans la détresse.

Au Musée du quai Branly, Françoise Cousin, ethnologue, explore l’immense collection diversifiée du Musée. Elle organise une exposition claire et subtile ; elle rassemble les objets des cinq continents, des bruits et des musiques, des photographies, des films. Elle révèle l’étrangeté du quotidien, les cérémonies parfois discrètes, la variété des cultures hétérogènes.

Pour survivre, pour persévérer, les groupes et les individus luttent et souhaitent l’arrivée de la pluie… Chez les peuples montagnards du Vietnam, des quartz assurent une alliance avec les divinités et les esprits ; ces pierres magiques sont aspergées d’un mélange de bière et du sang de l’animal sacrifié… Au Brésil (Mato Grosso do Sul), une hache taillée et polie de la préhistoire est considérée comme une « Pierre de foudre ». Au Vietnam, un quartz translucide, vénéré, se nomme une « Pierre d’alliance avec l’Esprit de l’arc-en-ciel »… En Nouvelle-Calédonie, une pierre (concrétion de magnésie) évoque les nuages porteurs de pluie ; elle suggère aussi un cerveau humain.

En des pays différents, des figurines signifient la puissance de la pluie. Au Maghreb, dans le Sahara, une poupée est constituée par un pilon habillé et par les deux cuillers de bois (qui forment les bras) ; elle est appelée la « fiancée de la pluie », que les jeunes filles promènent au moment où la pluie est souhaitée. En Inde, les enfants sculptent deux poupées qui sont mariées et liées ; lors des premières crues de la mousson, les deux poupées sont jetées à l’eau pour assurer la fertilité des champs… Ou bien, en Nouvelle-Calédonie, un « paquet magique » contient une pierre, des fragments végétaux, des poils de chauves-souris ; le tout est enveloppé d’une étoffe d’écorce battue ; le paquet est fermé par une cordelette en fibres de cocotier…

La musique et les bruits interviennent dans les rituels de la pluie. Dans l’Arizona, au XIXe siècle, les danseurs Hopi utilisent des sonnailles corporelles (carapace de tortue, avec des sabots de ruminants) pour obtenir la pluie. En Angola, des « sonnailles sur bâton » forment des grelots de fer et prient un génie féminin des eaux. Les rhombes, les trompes, les percussions interviennent… Tu penses alors à un poème de Francis Ponge (Le Parti pris des choses, 1942) qui écoute la pluie : « La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse. »

Les danseurs masqués proposent des chorégraphies sacrées ; ils demandent la pluie. En Guinée, le masqué a de grandes échasses. Au Burkina Faso, le danseur lent porte un immense masque-papillon. Au Mali, le danseur porte un masque-cimier : une antilope stylisée.

Des objets divers évoquent un bestiaire de la pluie : les crocodiles, les grenouilles, les crapauds, les serpents, les dragons. Ces bêtes sont brodées sur des tissus ; elles sont sculptées en bois, en bronze, en ivoire, en pierre. Elles protègent. Elles aident…

À travers les continents, les dieux puissants contrôlent la pluie, les orages, les nuages, les foudres, l’arc-en-ciel. Zeus et Indra brandissent la foudre. Shango est le dieu du tonnerre chez les Yoruba ; il a une double hache ; il voyage de l’autre côté de l’océan et il surgit dans les cultes vaudous du Brésil et d’Haïti. Au Mexique, chez les Aztèques, Tlaloc, dieu de la pluie, est capricieux, redoutable, sanguinaire ; son sceptre est souvent un serpent. Sur des écorces peintes des Aborigènes de la Terre d’Arnhem (Australie), le python arc-en-ciel règne dans la saison humide… Très souvent, les lignes sinueuses, les zigzags donnent à penser aux pluies, aux éclairs…

En particulier, les estampes et les poèmes du Japon mettent en évidence la pluie. Bashô (1644-1694) écrit : « Qu’il pleuve ou non / Le jour où l’on plante les bambous / Manteau et chapeau de paille. » Ou aussi, Buson (1716-1783) murmure : « Pluie de printemps – / Celui qui ne peut écrire / Comme il devient triste. » Ou bien, Buson observe : « Le manteau de paille / Du batelier sous l’orage – / Une robe à fleurs. » Ou encore, Buson est triste : « Un soir de pluie froide – / Dans le cri sourd du crapaud / Quelle détresse ! » Le moine zen Ryôkan (xviiie siècle) n’est guère joyeux : « Les jours de pluie / La mélancolie envahit / Le moine Ryôkan. » Ou aussi, Ryôkan se réjouit : « La pluie de printemps – / Je caresse tendrement / Ma gourde fêlée. » Ou encore, Issa (1763-1827) note : « Pluie de printemps / Une souris lape l’eau / Du fleuve Sumida. » Ou bien, un autre poème japonais est ironique et tendre : « Il pleut des cordes / Un chat avance / Son petit dans la gueule. »

Gilbert Lascault