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L'été sous les étoiles

Article publié dans le n°1089 (01 août 2013) de Quinzaines

Le coup de chapeau que nous avions adressé l’an dernier (QL n° 1 065) au festival « Il cinema ritrovato » de Bologne a valu à La Quinzaine d’être citée dans le programme et d’apparaître ainsi chaque soir sur l’écran géant de la piazza Maggiore, avant la projection du chef-d’œuvre quotidien. Clin d’œil furtif, apothéose éphémère mais réjouissante : 3 000 spectateurs voyant apparaître, huit soirs durant, notre titre, ne serait-ce que quelques secondes, il en restera bien quelque chose…

XXVIIe festival « Il cinema ritrovato »

Boulogne, 29 juin - 6 juillet 2013

Le coup de chapeau que nous avions adressé l’an dernier (QL n° 1 065) au festival « Il cinema ritrovato » de Bologne a valu à La Quinzaine d’être citée dans le programme et d’apparaître ainsi chaque soir sur l’écran géant de la piazza Maggiore, avant la projection du chef-d’œuvre quotidien. Clin d’œil furtif, apothéose éphémère mais réjouissante : 3 000 spectateurs voyant apparaître, huit soirs durant, notre titre, ne serait-ce que quelques secondes, il en restera bien quelque chose…

On pourrait reprendre, sans en changer un seul terme, les qualificatifs employés dans notre recension précédente : la ville est toujours aussi superbe, les arcades toujours aussi accueillantes pour échapper aux ardeurs d’un soleil toujours aussi actif et les gelati centenaires (il ne s’agit pas de cousins des œufs chinois, mais de recettes du siècle dernier retrouvées) toujours aussi délectables. Tout était donc en place pour que la fête commence, sur la base des trente séances quotidiennes offertes par les quatre salles de projection – avec le même problème en forme d’arrache-cœur, chaque film choisi incluant le sacrifice de trois autres, que l’on ne reverra pas avant deux décennies, c’est-à-dire jamais. Mais l’entretien de la frustration est indissociable du parcours de l’amateur, tant qu’il n’aura pas en­grangé les centaines de milliers de titres tournés depuis l’enregistrement par Louis Lumière des ouvriers sortant de son usine.

Le programme proposé pour cette 27e édition par Gianluca Farinelli, directeur de la Cineteca, et Peter von Bagh, directeur artistique du festival, valait le détour, ce détour que n’hésite pas à faire le gros millier de spécialistes, conservateurs, universitaires, historiens, collectionneurs, critiques et même honnêtes gens sans fonction autre que celle d’aimer le cinéma ancien (ceux-là qui hantent également Pordenone et ses « Giornate del cinema muto » en octobre). Mais il n’y avait pas que fronts chenus et barbes fleuries : une bonne partie du public était constituée d’étudiants, assidus aux « lezioni di cinema » dispensées, entre autres, par Agnès Varda, Alexander Payne, Kevin Brownlow ou Thierry Frémaux. Et constater qu’à la projection de Ingeborg Holm, de Victor Sjöström, datant de 1913, avec intertitres en suédois, une quarantaine de spectateurs, qui n’avaient manifestement pas connu les années 1980, ont regardé debout le film (70 minutes) faute d’avoir trouvé une place, est rassurant : le flambeau n’est pas près de s’éteindre.

La quinzaine d’hommages, certains en seulement quelques titres (7 pour le Nouveau Cinéma tchèque des années 1960), d’autres plus fournis (22 films d’Allan Dwan), incluait retrouvailles (les muets d’Hitchcock, les Chaplin de 1916, Vittorio De Sica), redécouvertes (les premiers essais de Chris Marker, certains jamais vus depuis les années 1960) et découvertes véritables (le cinéma japonais des débuts du parlant, l’œuvre complète d’Olga Preobrajenskaïa et Ivan Pravov). Sans compter les quelques perles restaurées au cours de l’année, Carmen (Cecil B. DeMille, 1915), Les Proscrits (Sjöström, 1918), Falstaff (Orson Welles, 1966) ou Hiroshima mon amour (Alain Resnais, 1959), que l’on a toujours plaisir à revoir dans leurs impeccables habits neufs, sur les 400 m2 de l’écran de la piazza.

Le Festival de Locarno avait présenté en 2002 une quarantaine de titres signés Allan Dwan, mais cette mini-rétrospective du cinéaste américain le plus prolifique (405 films répertoriés entre 1911 et 1961) n’avait pas circulé et une grande partie des œuvres projetées à Bologne était peu connue hors du petit cercle des « dwaniens ». Si les westerns en une ou deux bobines des années 1910 ne manifestent pas encore la naissance d’un grand réalisateur (rien à voir avec son contemporain William Hart), la manière complice avec laquelle il exalte l’énergie de Douglas Fairbanks, presque débutant, dans les galopades de A Modern Musketeer (1917) permet de comprendre pourquoi l’acteur le plus populaire du temps en fit son réalisateur favori – douze films ensemble, de 1916 à 1929, dont le fameux Robin des Bois (1922). Idem avec Gloria Swanson, pas toujours facile à diriger, qui tourna huit films avec lui, dont Zaza (1923), mélo qu’il exécute aussi finement que la comédie sociale Manhandled (1924). Comme il se tire remarquablement de l’accumulation de thèmes – antagonisme de classes, bâtardise, ascension sociale, poursuite d’un rêve, avec le Titanic en prime – d’East Side, West Side (1927), peut-être le sommet de sa filmographie muette. En revanche, la récolte était moins fructueuse du côté des films parlants des années 1930 et 1940, anonymes et sans saveur, jusqu’à son réveil dans sa dernière décennie d’activité, via son western antimaccarthyste Silver Lode (1954) et son Bagarreur du Tennessee (1955), où il parvient à faire de Ronald Reagan un acteur. Même s’il n’offre pas la richesse des autres cinéastes américains redécouverts ici ces dernières années, Capra, Ford ou Hawks, le continent Dwan, dans son ensemble, reste à explorer – une dizaine de titres pertinents sont déjà disponibles en DVD.

Le Joli Mai est en salles (cf. QL n° 1 084), Arte annonce le DVD pour l’automne, la disparition de Chris Marker n’a fait que raviver l’intérêt pour son œuvre, assurément une des moins épuisables du siècle dernier, mais dont l’accès est loin d’être aisé : entre les titres qu’il avait lui-même mis sous embargo, parce qu’il ne s’y reconnaissait plus, ceux dont il retravaillait l’ordonnancement et ceux dont il ne se souciait plus, passionné par d’autres expérimentations, la vision globale est impossible. Comment revoir Si j’avais quatre dromadaires, L’Ambassade ou les 340 minutes de L’Héritage de la chouette, pourtant aussi nécessaires à la perspective que La Jetée ou Sans soleil ? On conçoit que personne ne se soit encore attaqué à l’exploration complète de cet archipel non cartographié, entre livres, films, CD-Rom, expositions et univers virtuel du type Second Life… Bologne nous a permis de retrouver Lettre de Sibérie (1957) et Description d’un combat (1960), dont les décennies d’occultation n’ont en rien atténué l’intelligence et le brio. À défaut de revoir Cuba si ! (1961), que l’on craint bien de ne jamais voir réapparaître, le festival nous offrit un film inconnu, enfin sorti de ses boîtes, l’inédit Olympia 52, tourné pour Peuple et Culture durant les Jeux olympiques d’Helsinki et qui reposait depuis cette date dans les placards de l’INSEP de Vincennes, pour l’édification des futurs professeurs d’EPS qui ne semblent pas y avoir eu souvent recours. La copie était en bois brut, les imperfections techniques intactes et l’émotion était du même ordre qu’à l’écoute d’un microsillon rescapé d’un vide-grenier. Certes, Marker y faisait ses gammes et le commentaire était surtout descriptif ; mais revoir Mimoun s’accrocher aux basques de Zatopek dans le dernier virage du 5 000 mètres, le jour même où l’on apprenait son décès, faisait se superposer les émotions. Rêvons d’une Pléiade du DVD qui rassemblerait les œuvres complètes de Sandor Krasna, le plus grand des cinéastes nés à Oulan-Bator (1).

Aller plus avant dans le détail des découvertes effectuées dans cette première semaine de juillet demanderait plusieurs numéros de La Quinzaine. Et il serait peu charitable de faire rêver sur des films dont les chances d’être présentés dans des conditions d’exploitation normales sont minimes (il se pourrait que le festival lyonnais Lumière, en octobre prochain, en programme quelques-uns, comme ce fut le cas les années précédentes – nous y reviendrons). Évoquons simplement notre plaisir devant les six épisodes du documentaire tourné en 1982 sur Jerry Lewis par Robert Benayoun, grâce à qui le pitre mal considéré par la critique française accéda au statut (mérité) d’auteur ; Bonjour, Mr Lewis constitue une anthologie des sketchs télévisés du comique, entrecoupée d’interventions de Jerry lui-même, de Spielberg, de Scorsese et autres amateurs, qui pourrait faire l’objet d’un coffret DVD de belle allure, façon d’informer les jeunes générations sur la grandeur du signataire de Dr Jerry and Mr Love. Évo­quons enfin quelques instants rares, les 18 minutes éblouissantes, coloriées au pochoir, de Zaza (Adrien Caillard, 1913), l’entraîneuse en kimono se lançant dans un charleston sur la version japonaise de « Yes Sir, That’s My Baby » (Ongaku Eiga, Atsuo Tomioka, 1935), l’enfant découvrant le désert et la mort dans le remarquable Sammy Going South (Alexander Macken­drick, 1963), scandaleusement inédit. « Il cinema ritrovato » est ainsi : une mine aux multiples filons, dont la richesse illumine tout l’été à venir. ❘

  1. Un des hétéronymes de Marker et son faux lieu de naissance.
Lucien Logette

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