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L’urgence d’écrire

Article publié dans le n°1199 (01 sept. 2018) de Quinzaines

« K.O. » met au premier plan un besoin irrépressible d’écrire. Il répond à une souffrance, tout en échappant à la facile et tentante production de pathétique.
« K.O. » met au premier plan un besoin irrépressible d’écrire. Il répond à une souffrance, tout en échappant à la facile et tentante production de pathétique.

À la lecture du premier roman d’Hector Mathis, K.O., il est difficile de ne pas reconnaître quelques influences, dont certaines allusions céliniennes (« Nous nous engouffrâmes immédiatement dans la nuit », « Ça avait fini comme ça », etc.). Le sujet s’y prête : le jeune Sitam décide de fuir l’horreur des attentats, et quitte brutalement – avec son amie Capu – Paris pour la grisâtre (son pays natal), avant de prendre conscience de la vanité de toute fuite. Il côtoie une galerie de personnages à la mélodie propre, du jazzman Archimbald à l’imprimeur Lariol, en passant par l’ami Ben, Max le boulanger, passionné de châteaux, et le publicitaire Gédéon. 

Transparaissent plusieurs obsessions, dont la plus évidente est la violence : « Ça pétait partout en Europe. Et même dans le monde entier. Des explosions, des attaques, sur des marchés, dans des concerts, des cafés. » Les attentats se sont invités dans la littérature, mais ne résident pas au cœur de ce roman : ils en sont la toile de fond, le cadre. Et les terroristes sont dépersonnifiés, désignés par des périphrases ou par des pronoms personnels : « Ils ont frappé fort. […] La terreur avait moins de prise ici. » Loin d’être un roman sur les attentats, K.O. est un roman sur la mort, sous toutes ses formes, à commencer par celle de notre civilisation : « Les grands monuments de valeurs s’effondraient au fur et à mesure. […] Il amorçait sa métamorphose, le monde, avec tous ces événements. » Le narrateur exprime une vision clairement pessimiste : « Il était normal à une époque sans génie qu’on ne fasse que constater celui des siècles passés. Elle était si pauvre, notre époque. […] Cette civilisation plus personne ne l’aimait j’avais l’impression. » Sitam ne s’attarde pas sur les qualités qui ont fait sa grandeur, il constate. Cette mort de la civilisation est celle également de l’art, de la littérature : « Supprimée la nuance ! À feu doux la littérature. Tout doucement carbonisée. Substituée par le discours intérieur, le livre qui ne dit plus rien, ni du monde ni de l’époque. »

Malgré ce constat, Sitam croit encore au potentiel de la littérature. Et, plus particulièrement, en la capacité de l’écriture à produire de la beauté. Archimbald, le jazzman et clochard céleste que le narrateur rencontre dans le premier chapitre, symbolise cette aspiration. Car, tout au long du roman, Sitam – l’alter ego de l’auteur (enlevez le h de « Mathis ») – est à la recherche d’une écriture, d’un style. En néoromantique, il cherche la musique à travers le chant macabre du temps présent : « Dans tout ce dégueulasse et cette beauté y avait de la matière à mettre en gamme. Je la tenais ma raison d’être au milieu. J’allais droit vers la littérature […]. Je traquais mon roman, ma musique, partout, à travers les routes […]. Fallait que j’écrive ! Que je m’y risque ! À jouer un air désagréable pour l’époque. »

Le prisme du poétique ne s’applique pas qu’aux attentats, mais à l’ensemble du vécu du narrateur : même le match de football auquel Sitam assiste est qualifié de « tragédie ». Ce besoin vital de « mettre en gamme » l’incite à considérer son écriture comme une « partition ». Sitam témoigne d’une foi dans le mot, foi assurément partagée par l’auteur. La fascination de Sitam pour la charade s’inscrit dans la même croyance : « Mon premier est pris de flatulences, se marre et déambule sans destination. “Sal” parce que “sal pète rit erre”. Mon second couche avec une métropole allemande. “To” parce que “to pine Hambourg”. Mon tout est un saut périlleux. Celui que certains font les soirs de cafard. Bien seuls, tout au bout de leurs pensées, avec plus rien à ressasser même, des souvenirs insignifiants, des petites idées, minuscules, administratives, sans métaphysique et sans poésie. »

Les phrases s’appellent et se succèdent parfois avec naturel. Toutefois, Sitam semble ne pas savoir ce qui le pousse à écrire. Adepte d’une religion de l’écriture, il est convaincu qu’il y a là quelque chose. Par instants, il croit avoir compris ce qu’on attend de lui, et les pensées morbides reviennent au premier plan : « L’épitaphe. C’est ça qu’il faut que j’écrive, juste l’épitaphe. » 

Alors même que le roman est d’une relative homogénéité, une rupture a lieu au chapitre vii, lequel recentre clairement l’obsession morbide sur le narrateur. Ce dernier souffre d’une dégénérescence oculaire. Une tache de plus en plus grande le gêne et le conduit à l’hôpital. Profondément marqué par le diagnostic à sa sortie, il déambule dans la ville, et croise les passants fuyant un attentat qui vient d’avoir lieu. L’écriture de ce chapitre (comme celle du suivant) est particulièrement captivante, et amène à réfléchir sur le rôle du lecteur, sur son besoin malade de pathétique. La question n’est pas de savoir si Hector Mathis est l’alter ego de Sitam (le site de l’éditeur indique que l’auteur fut « frappé par la maladie à l’âge de 22 ans »). Sitam lui-même se joue de cette ressemblance (à laquelle il invite pourtant) dans l’une des formules qui ponctuent le roman : « On n’est jamais plus inventif que dans la mauvaise foi. » Car si la maladie devient obsédante – et la mort, qui en est la conséquence, également –, Sitam hésite à en faire le ressort de sa fiction. Il est tiraillé entre le désir d’en faire part (« Voilà ma chance. La maladie ! ») et l’écœurement face à l’écriture, perçue comme une activité pour se libérer d’un poids et émouvoir son lecteur (« Je ne voulais pas finir en histoire triste, en jus de pitié »).

C’est alors qu’il nous assène cette intéressante réflexion : « Écrivain c’est le seul boulot qu’on peut faire quand on est malade. Peut-être même que ça bonifie ! Un écrivain malade ça devient mystique, fascinant, reniflant des vérités inatteignables pour les bien-portants ! C’est comme ça aux yeux des lecteurs ! J’aurai peut-être du succès ! »

L’histoire de la réception littéraire (non pas seulement des lectures par le grand public, mais aussi – et surtout ! – des canonisations par l’université) ne peut que lui donner raison, d’autant plus à notre époque où le concept d’écrivain maudit aveugle les lecteurs, au point de leur donner envie d’admirer un ouvrage en raison, avant tout, de la biographie fantasmée de son auteur.

En cette rentrée littéraire, K.O. aura assurément un prix. L’aura-t-il pour les « bonnes raisons » ?

Eddie Breuil

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