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Hitchcock est de retour – si tant est qu’il se soit jamais éloigné, sinon sous son apparence terrestre, qui, Faustroll l’a dit, n’est rien. Les affiches de la rétrospective organisée conjointement par la Cinémathèque française et par l’Institut Lumière, fleurissent dans les couloirs du métropolitain. Les réclames vantant l’ouvrage, monumental, à lui consacré par Patrick McGilligan figurent sur les meilleures pages de nos quotidiens de référence. Trente ans après sa disparition (il est mort le 29 avril 1980), le nom du « Maître du suspense » fonctionne encore comme un appeau suffisant pour que les spectateurs se pressent en foule, à Paris et à Lyon, aux projections – et pas seulement pour revoir Psychose ou La Mort aux trousses, chefs-d’œuvre certifiés, mais pour découvrir des titres moins connus des années vingt et trente, Numéro 17 ou Agent secret.
Alfred Hitchcock
Rétrospective Alfred Hitchcock
Patrick Macgilligan
Alfred Hitchcock. Une vie d’ombres et de lumière (Institut Lumière/Actes Sud)
Hitchcock est de retour – si tant est qu’il se soit jamais éloigné, sinon sous son apparence terrestre, qui, Faustroll l’a dit, n’est rien. Les affiches de la rétrospective organisée conjointement par la Cinémathèque française et par l’Institut Lumière, fleurissent dans les couloirs du métropolitain. Les réclames vantant l’ouvrage, monumental, à lui consacré par Patrick McGilligan figurent sur les meilleures pages de nos quotidiens de référence. Trente ans après sa disparition (il est mort le 29 avril 1980), le nom du « Maître du suspense » fonctionne encore comme un appeau suffisant pour que les spectateurs se pressent en foule, à Paris et à Lyon, aux projections – et pas seulement pour revoir Psychose ou La Mort aux trousses, chefs-d’œuvre certifiés, mais pour découvrir des titres moins connus des années vingt et trente, Numéro 17 ou Agent secret.

On pensait que tout avait été vu et revu, depuis tant d’années que le cinéaste a été panthéonisé, que ses films passent et repassent, quasiment sans interruption, sur grands et petits écrans. On pensait que tout avait été dit, depuis la première approche signée par Chabrol et Rohmer au milieu des années cinquante jusqu’aux mètres linéaires de rayonnages aujourd’hui nécessaires pour contenir la littérature hitchcockienne. Erreur. Les candidats aux projections de la Cinémathèque de Bercy prêts à patienter autant que pour une vulgaire exposition Monet, les spectateurs lyonnais du dernier week-end assis sur les marches de la salle de l’Institut Lumière, comme aux vieux temps du TNP, pour écouter Patrick McGilligan, cornaqué par Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux (respectivement président et directeur des lieux), présenter et commenter Lifeboat ou Les Oiseaux, tout cela montre que l’intérêt passionné pour leur auteur demeure intact. Hitchcock a toujours misé sur la force du spectacle et le plaisir du spectateur ; les générations se succèdent, qui continuent d’avoir envie de voir ses films et d’en apprendre plus sur lui. Pour une fois qu’un cinéaste ne connaît pas le purgatoire, soyons heureux.

Si nous déplorions, il y a peu, l’iconolâtrie déployée autour du maître, c’est parce que nous voyons là une attitude dommageable héritée du travail des « hitchcocko-hawkiens » de la période jaune des Cahiers du cinéma, pour lesquels sir Alfred était à la fois un métaphysicien, un moraliste, un logicien et un messie dont le marbre de la statue brillait de mille facettes (« le plus grand inventeur de formes du XXe siècle », fermez le ban). Ce qui tenait du délire interprétatif de la « politique des auteurs » a forcément, légende dorée des Cahiers aidant, laissé quelques traces jargonnantes : le programme de Bercy parle encore de « ressources de réflexivité filmique » et de « fiction du cinéma dressée en une opération réflexive (1) »… Or Hitchcock, pas plus que les autres, n’a œuvré constamment dans le génie ; il a dû batailler, comme chacun, avec les rugosités de sa condition, les contraintes, les censures, les acteurs rétifs et les budgets serrés. Qu’il ait réussi à signer autant de films remarquables est déjà admirable ; ce n’est pas pour autant que chacun de ses titres doit être vu avec les yeux aveugles de la foi. Paul Vecchiali, dans son Encinéclopédia récemment parue, examine film à film tous les cinéastes français sans en considérer aucun comme une vache sacrée : selon les titres, un même réalisateur, qu’il soit Marcel Pagnol ou André Berthomieu, peut être décoré de 4 étoiles ou de 3 points noirs. Le film compte, pas la signature. On aimerait qu’il en soit de même pour Hitchcock, pouvoir écrire que Sueurs froides est une merveille et L’Étau une épouvantable purge, que La Mort aux trousses recèle une énergie inépuisable après dix visions et que Le crime était presque parfait est à la hauteur d’un épisode moyen de Navarro.

Sa carrière fut longue et nombreuse – 51 ans et 53 films –, parsemée d’éclairs dont l’impact demeure puissant : chacun peut y puiser de quoi garnir son sac à souvenirs, à partir d’une scène inoubliable (l’Institut Lumière a présenté deux anthologies de quelques minutes, un concentré de diverses acmés, sorte de précipité de la manière du cinéaste) et parfois même d’un seul plan (le clignement d’yeux du meurtrier de Jeune et innocent, les corbeaux immobiles dans le jardin d’enfants des Oiseaux). Mais curieusement, en revoyant tous ses films, c’est l’unité de l’œuvre anglaise qui prime. Rien dans les titres des années trente qui égale les fulgurances des Enchaînés, l’ambiguïté de L’Ombre d’un doute, la perfection d’écriture de Lifeboat, pour se limiter aux années quarante. Mais une tonalité soutenue, un sens de la narration haletante, une simplicité sans effets, un peu grise, qui font des six films réalisés entre 1934 et 1939, de la première version (la meilleure) de L’homme qui en savait trop à Une femme disparaît, un ensemble sans faiblesses – avec des audaces rares, comme de faire mourir un enfant porteur, sans le savoir, d’une bombe dans Sabotage, ce que Hollywood n’aurait jamais laissé passer. Un charme tenace émane de cette série, à l’image des 39 Marches, dont on connaît chaque rebondissement mais dont, miracle du story-telling, on ne peut se détacher, une fois revue la première séquence.

Patrick McGilligan raconte par le menu toute l’aventure du cinéaste. Un menu parfois un peu chargé, péché véniel de ces biographies à l’américaine qui n’oublient aucun détour (« le 26 décembre 1948, il pleuvait et ils jouèrent au backgammon et au Monopoly »…). Mais pour qui tient à tout savoir de ces quatre-vingt-une années bien occupées, le livre est parfait, reprenant pas à pas les projets, les scénarios, les tournages, les difficultés, les triomphes et les inquiétudes de sir Alfred. L’auteur semble avoir tout lu de ce qui a été écrit, comme l’attestent les 26 pages de bibliographie et de références, jusqu’en 2003, date de parution de l’édition américaine. Qu’importe s’il laisse parfois l’impression de ne pas avoir vu le même film que celui que l’on vient de revoir en DVD, la somme est trop importante pour que l’on chipote sur quelques détails. Au moins, la métaphysique est-elle absente de l’ouvrage : peut-être Alfred était-il avant tout préoccupé par la Grâce et par la Rédemption, mais il le cachait bien et McGilligan nous offre surtout le portrait d’un perfectionniste, homme de spectacle pour qui seul comptait l’effet obtenu ; on saisit ainsi combien il fut marqué par les échecs des dernières années, celles qui vont de Marnie (1964) à Complot de famille (1976), dégringolade équivalente à celle du vieux Corneille, d’Agésilas à Pulchérie. « Indispensable », assure le bandeau sur le livre. Assurément. On sort de ces 1 100 pages avec une image à plusieurs dimensions de cet étrange bonhomme. Si on veut en connaître encore plus sur les films – tous aujourd’hui disponibles en DVD –, on complétera cette lecture par celle du Dictionnaire Hitchcock de Laurent Bourdon (Larousse, 2007), qui offre une autre approche, aussi vertigineuse et également indispensable. Avec de tels viatiques, on peut continuer l’exploration du continent Hitchcock en toute connaissance. 

1. Sans oublier cette perle : « le cinéaste a entretenu un constant dialogue avec la nature duelle de notre monde : bien/mal, homme/femme, forme/fond »… De quoi ouvrir des perspectives d’analyses infinies.

P.-S. 1 – Réparons une erreur : l’exposition qui a ouvert le 8 février à la librairie Le Flâneur des Deux-Rives, rue Monsieur-le-Prince, 75006, n’est pas consacrée à Jean Benoît, comme nous l’avions annoncé trop vite, mais, plus largement, aux surréalistes et au cinéma : documents de derrière les fagots, textes, photographies, affiches, revues, dans un rassemblement peu commun et qui vaut le détour.

P.-S. 2 – Positif, meilleure revue française dans la catégorie cinéma, a publié en février son numéro 600, chiffre rare pour un périodique spécialisée et qui ne flatte pas le chaland. Pour saluer l’événement, Positif organise au Forum des Images, les 25, 26 et 27 février, une fête du cinéma français, où des cinéastes confirmés, Leconte, Rappeneau, Varda, Miller, Tavernier et Guédiguian, viendront présenter, avec un de leurs propres films, celui d’un autre réalisateur, Sylvain Chomet, Stéphane Brizé, Abdellatif Kechiche, Bruno Dumont, Olivier Assayas et Samuel Collardey. Qu’on se le dise…

Lucien Logette

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