À trente-quatre ans, Nicolas Dufetel est l’un des meilleurs spécialistes internationaux de Liszt, à qui il a déjà consacré pas moins de huit ouvrages. Sa connaissance profonde du personnage – sa vie, son œuvre, ses écrits – lui permet aujourd’hui de livrer en une synthèse aboutie les fruits d’un travail colossal : un recueil des pensées de Franz Liszt ordonnées autour des thématiques suivantes : « L’art et les artistes », « La musique et les musiciens », « Figures », « L’homme et le monde », « Peuples », « Villes et pays », « Spiritualité et religion », « Miscellanées ».
L’idée d’un tel corpus s’est imposée à Nicolas Dufetel comme un tribut à la passion que nourrissait Franz Liszt, indépendamment de sa carrière de pianiste et de compositeur, pour l’aphorisme en particulier et la littérature en général, au point de collectionner lui-même une multitude d’ouvrages, dictionnaires, encyclopédies.
Ce codex est unique en son genre car il propose une compilation des écrits et traits d’esprit les plus significatifs de Franz Liszt au-delà du champ musical. Chaque pensée est dûment numérotée et sa source scrupuleusement répertoriée. Dans son introduction, Nicolas Dufetel prend soin de souligner le caractère – inhérent au genre – intrinsèquement discontinu de son ouvrage, qui invite à une pluralité de lectures.
Écho synthétique à la « dispersion magnifique » peinte par Jean-Yves Clément , cet ouvrage est remarquable par la logique de l’ordonnancement selon lequel les pensées s’égrènent.
Ces pensées sont parfois modernes (« j’appelle de tous mes vœux l’abolition prochaine de la peine de mort », Pensée 412) ; profondes (« Respirons l’éternité », Pensée 748) ; empreintes de sagesse (« Se contenter de peu en ce monde est l’art de vivre ! », Pensée 787) ; drôles (« Apprenez à distinguer le point et la virgule ; du double point : et n’abusez pas trop par la suite du trait de la séparation ou d’union – qui est un expédient fort commode et très usité depuis quelque temps par les écrivains dépourvus de style », Pensée 551) ; désabusées (« À moins d’être signées d’un nom accrédité, les plus belles œuvres risquent de passer inaperçues ou méconnues du public », Pensée 458) ; possiblement désobligeantes (« La femme incomprise est celle qui ne comprend pas assez qu’on la comprend trop », Pensée 554).
Tout le ciel en musique est suivi d’un essai, Liszt et le hérisson, allusion manifeste au Fragment romantique de Friedrich Schlegel, dont l’avatar musical s’incarne dans la petite forme de la mazurka, notamment celles de Chopin que Liszt admirait pour leur concision, « petits chefs-d’œuvre si capricieux et si achevés pourtant » (Pensée 263). Cet addendum, possible prologue, colonne vertébrale de l’ouvrage lui-même, révèle la démarche de Nicolas Dufetel : « Œuvre musicale et œuvre littéraire s’éclairent mutuellement ». Le compositeur au XIXe siècle développe ses moyens d’expression au-delà de la pure composition musicale. Il affirme sa modernité romantique à travers des écrits, des articles, des correspondances.
Cette sélection s’achève sur la pensée 814 : « Dans la vie, on doit se décider si on veut conjuguer le verbe ″avoir″ ou le verbe ″être″. »
1. Jean-Yves Clément, Franz Liszt : La dispersion magnifique, Actes Sud-Classica, 2011.
Laurence Hitzel
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