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Les scribes des contours et leur subtilité

Article publié dans le n°1084 (16 mai 2013) de Quinzaines

Il n’y a jamais eu d’exposition antérieure du dessin dans l’art égyptien au temps des Pharaons. Aujourd’hui, au Louvre, se présentent 186 œuvres rassemblées. Environ 80 œuvres sont des prêts exceptionnels, venus des musées étrangers.

EXPOSITION

L'ART DE CONTOUR : LE DESSIN DANS L'ÉGYPTE ANCIENNE

Musée du Louvre

19 avril - 22 juillet 2013

 

Catalogue de l'exposition

Sous la sirection de Guillemette Andreu-Lanoë

Louvre éd./Somogy, 352 p., 250 ill. coul., 39 €

Il n’y a jamais eu d’exposition antérieure du dessin dans l’art égyptien au temps des Pharaons. Aujourd’hui, au Louvre, se présentent 186 œuvres rassemblées. Environ 80 œuvres sont des prêts exceptionnels, venus des musées étrangers.

Dans l’Égypte antique, les dessinateurs et les peintres peuvent être désignés comme les « scribes des contours » ou « ceux qui tracent les formes ». Ils sont des créateurs (parfois nommés, le plus souvent anonymes). Ils sont, à la fois, artistes, artisans, fonctionnaires, subordonnés, payés. Ils obéissent à des commandes. Ils veulent aussi s’amuser, jouer avec les lignes, avec les profils, avec les traces, avec les silhouettes. Ils font des croquis, des ébauches, des observations rapides de fleurs, d’humains, d’animaux, les esquisses, les projets, les griffonnements, les canevas. Ils enseignent aussi le dessin et ils ont des élèves qui copient leurs contours et étudient… Assez souvent, ils dessinent, en particulier, sur les ostraca. Un ostracon est un tesson de céramique (ou un fragment de pierre calcaire).

Les scribes de contours ne trouvent nulle journée sans une ligne. Recommencées et reprises, les lignes sont des exercices ; elles constituent un apprentissage, un entraînement, une application. Ces scribes étudient les signes, les hiéroglyphes, les formes ; ils les répètent ; ils apprennent les codes et, parfois, ils s’en libèrent… Leurs contours des figures sont les limites extérieures des corps représentés. Ces scribes cernent la flore, la faune, les profils des humains, leurs faces, les momies dressées, le soleil, la lune, les divinités tutélaires. La mise en place du dessin, puis sa colorisation, passent par plusieurs phases : l’ébauche, la structure corrigée (parfois en rouge et en noir), la mise en couleurs définitive. Les scribes vont des contours vers le remplissage, vers l’aboutissement. Nous avons la chance (par certaines fouilles) de découvrir les dessins de quelques peintures qui demeurent encore inachevées et interrompues sur un mur.

Avant 1887, bien des historiens de l’art pensaient que les Égyptiens ne savaient pas dessiner. À tort. En 1887, l’égyptologue français Gaston Maspero décrit les contours des scribes : « Le trait est net, ferme, lancé résolument et longuement mené. Dix ou douze coups de pinceau suffisent à établir une figure de grandeur naturelle. Un seul trait enveloppait la tête de la nuque à la naissance du cou ; un seul marquait le ressaut des épaules et la tombée du bras […]. Ce mélange de science naïve et de gaucherie voulue, d’exécution rapide et de retouche patiente, n’exclut ni l’élégance des formes, ni la grâce et la vérité des attitudes, ni la justesse des mouvements. Les personnages sont étranges, mais ils vivent. Et, qui veut se donner la peine de les regarder sans préjugé, leur étrangeté même leur prête un charme. » Aujourd’hui, au XXIe siècle, nous trouvons l’étrangeté et le charme des contours que les scribes égyptiens choisissaient.

Alors, au Louvre, Guillemette Andreu-Lanoë (conservateur général, directrice du département des Antiquités égyptiennes) organise cette exposition originale qui démontre l’omniprésence du dessin à l’intérieur de la production artistique des Égyptiens. Le dessin apparaît comme la condition nécessaire de la peinture, de la sculpture, de l’architecture. Les scribes des contours s’interrogent sur les relations complexes de l’écriture hiéroglyphique et de la recherche des formes. En particulier, ces scribes ont respecté des codes, des conventions trois fois millénaires. Et, en même temps, ils ont gardé une liberté, une inventivité ; ils ont imaginé diverses entorses aux codes, bien des altérations, des écarts.

Selon les époques changeantes de l’Égypte ancienne, selon les circonstances, les scribes artistes expriment une certaine marge de créativité. Avec discrétion, ils traduisent leur individualité, leur personnalité, leur caractère, leurs particularités. Ils prennent une distance par rapport aux normes, à la volonté de standardisation forte que souhaiterait le pouvoir, aux conventions. La souplesse du trait permet parfois des formes atypiques ; elle s’oppose aux proportions classiques.

Par exemple, certains artistes vont représenter des hommes difformes ou très âgés, des hirsutes, des nains, des pauvres (un bouvier, un charretier), un homme obèse avec des bras atrophiés, un personnage qui arbore un pied bot… Ou bien ils dessinent des ethnies étrangères ; leurs vêtements exotiques et des visages parfois caricaturés se singularisent… Ou encore un harpiste voûté semble peut-être un aveugle… Ou aussi, tu perçois les faces des ennemis massacrés et les profils des vainqueurs…

Le plus souvent, les divinités, les pharaons, les nobles apparaissent dignes, sérieux, sévères ; leurs attitudes sont hiératiques. Mais il y aurait, parfois, un humour des dessinateurs égyptiens, un côté satirique et parodique, un goût de l’érotisme et des acrobaties sexuelles, des organes démesurés… Dans tel dessin, une souris devient le seigneur et le chat devient son domestique. Dans tel autre, les animaux se dirigent vers une statue divine ; ils prient. Ou bien, le tigre, le crocodile, le lion, l’âne sont des musiciens… Tu découvres aussi une série des ébats érotiques d’hommes et de femmes sur le « papyrus érotico-satirique », conservé au Museo Egizio de Turin.

Donc, avant 1887, l’artiste égyptien était un grand méconnu de l’égyptologie. Maintenant, cette exposition du Louvre rend hommage à ces scribes des contours… À telle époque, on trouve l’organigramme de la corporation : le directeur des scribes des contours, leur administrateur, leurs inspecteurs, les praticiens…

Et ces scribes-créateurs dessinent sur des supports divers : la pierre (calcaire, granite, calcite), le papyrus, le bois, le cuir, la faïence, la terre cuite, la peinture murale…

Par exemple, au Ier millénaire avant notre ère, sur un ostracon figuré, surgit une danseuse-acrobate à demi nue… 

Gilbert Lascault