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Un hameçon, une bague, des miroirs inhabités

Méthodique, précis, ironique, distant, attentif, Roy Lichtenstein (1923-1997) choisit les lignes nettes, les agrandissements des trames d’imprimerie (les points), les couleurs vives et lisses.

EXPOSITION

ROY LICHTENSTEIN

Centre George-Pompidou

3 juillet - 4 novembre 2013

Livre-catalogue de l'exposition

Sous la direction de Camille Morineau

Ed. du Centre Pompidou, 226 p., 200 ill. coul., 39,90 €

 

ROY LICHTENSTEIN

CE QUE JE CREE, C'EST DE LA FORME

Entretiens, 1963-1997

Ed. du Centre Pompidou, 144 p., 19 €

Méthodique, précis, ironique, distant, attentif, Roy Lichtenstein (1923-1997) choisit les lignes nettes, les agrandissements des trames d’imprimerie (les points), les couleurs vives et lisses.

Au Centre Pompidou, Camille Morineau (commissaire de cette exposition) choisit 129 œuvres de Roy Lichtenstein : des peintures, de nombreuses estampes diversifiées, mais aussi des sculptures (qui, souvent, étaient négligées en Europe). Elle propose aux spectateurs un parcours sinueux et clair de l’exposition et la visite de dix espaces bien définis (1).

Tout commence par un hameçon, un piège, une feinte, un leurre. C’est une assez grande peinture (121,9 x 175,3 cm, huile sur toile). Mickey et le canard Donald pêchent sur un ponton. La « bulle » de Donald s’inscrit en haut à gauche. Il est satisfait : « Look Mickey, I’ve hooked a big one!! » « Regarde, Mickey (dit-il en 1960), j’ai accroché une grosse prise !! » Le canard ne sait pas que son hameçon attrape le revers de sa veste bleue ; il est une « grosse » proie ; il est prisonnier de lui-même ; Mickey le voit et ricane en catimini. Sur la bulle, les lettres O (lOOk, hOOked, One) ressemblent aux énormes yeux du canard satisfait. Cette scène de bande dessinée (agrandie) devient une peinture d’histoire et de plaisanterie. Au Centre Pompidou, le spectateur est le double de Mickey : il regarde et se moque. L’art de Roy Lichtenstein est un jeu des regards, une plaisanterie sérieuse, une méditation narquoise.

Telle peinture de Lichtenstein s’intitule Magnifying Glass (1963) : La Loupe. Par la loupe, par le compte-fils, par l’agrandissement, le regardeur perçoit les points de la trame d’imprimerie ; il regarde sans cesse et lit l’œuvre. Dans une grande partie des peintures et des sculptures, Lichtenstein emploie les points des trames ; il les glorifie ; il les exalte ; il les célèbre.

Telle peinture (huile sur toile) s’intitule The Ring (Engagement), 1962. Le centre du tableau est une bague, un signe d’amour, d’union, d’harmonie. Le fiancé donne la bague à la belle ; la main masculine et la main féminine (avec ses ongles rouges) s’approchent, s’unissent. C’est une fin heureuse (a happy end), une conclusion d’épanouissement… La bague est (entre autres choses) un emblème de la création artistique, de la synthèse des éléments de l’œuvre, de leur mariage, de l’unification. Comme Camille Morineau le souligne, Lichtenstein n’aime pas rompre, ni isoler ; il réconcilie les mouvements artistiques opposés, les techniques différentes, les styles divergents, l’abstraction et les figures, le cubisme et le surréalisme, les recherches picturales et sculpturales, les approches en deux dimensions et celles en trois dimensions, la modernité et le classicisme, les images commerciales et les créations de l’histoire de l’art.

Roy Lichtenstein dialogue avec les dessinateurs industriels de catalogues commerciaux, avec Picasso (qui, régulièrement, l’inspire), Matisse, Fernand Léger, Mondrian, Cézanne, Degas, Willem De Kooning, Brancusi, avec les peintres chinois (Xe-XIIIe siècles)… Le plus souvent, il emploie l’acrylique ; mais il utilise plusieurs sortes de plastiques (le Plexiglas, le Mylar, ou encore le Rowlux) avec des propriétés optiques et cinétiques… Selon les époques, il peint les levers de soleil, les soleils couchants à l’horizon de l’océan, les natures mortes, les immenses « Ateliers d’artistes » (en hommage à Matisse), les « Intérieurs symphoniques », les têtes (surréalistes, expressionnistes, africaines), les corps nus, les courbes et les droites de l’abstraction, les explosions des combats, les larmes des amantes malheureuses, les lampes sculptées… Il choisit toujours une virtuosité soignée, rigoureuse, contrôlée, une précision pure, les lignes claires.

Dans ses entretiens (1963-1997), Roy Lichtenstein lie le détachement et l’humour. Parfois, il met en évidence les paradoxes ironiques de certaines images : « Il y a un aspect amusant à réaliser un coucher de soleil de manière solide, surtout les rayons du soleil, parce qu’un coucher de soleil n’a que peu (voire pas du tout) de forme spécifique. » Dans les interviews filmées, il sourit souvent, il pouffe. Ou bien, en 1966, il précise : « La sensibilité que j’essaie d’apporter est une apparente antisensibilité, c’est en réalité une nouvelle sensibilité […]. Une sorte de brutalité et, peut-être, d’hostilité m’est utile d’un point de vue esthétique […]. Toutes ces qualités sont plus brutales, plus aseptisées et plus contemporaines, me semble-t-il. » Vers 1972, dans un entretien avec Barbara Rose, il rend hommage à Picasso ou à Mondrian ; il reprend leurs œuvres ; il les modifie et les transforme : « Comme je suis passionné par la tradition artistique, j’essayais de la perpétuer d’une autre façon […]. J’aime l’art des musées ; j’aime aller dans les musées et regarder les œuvres. » Sans cesse, Lichtenstein est un travailleur obstiné et tranquille : « Je commence vers 10 heures ; je m’arrête vers 18 heures 30 et je déjeune au restaurant, en général. C’est une discipline, mais elle est facile… J’aime bien Charlie Parker et Bach, et aussi toutes sortes de musiciens entre ces deux extrêmes. »

Ou encore, Roy Lichtenstein représente de grands « coups de pinceau » qui sont, pour lui, « un symbole de la peinture » : sa série des Brushstrokes. Le coup de pinceau est une vigueur d’aplats de couleur largement agrandis. On les trouve en 1965-1966, puis encore à partir de 1980. Ces coups de pinceau renvoient évidemment aux touches de Willem De Kooning, à l’expressionnisme abstrait.

Ou bien, en 1969, Lichtenstein commence une longue série de miroirs ovales, circulaires, rectangulaires : les Mirrors. Il part de certaines représentations schématiques de miroirs, trouvées dans des réclames. Il propose alors des miroirs inhabités avec des reflets, avec des lumières et des ombres floues. Sur les miroirs, avec des variations infinies et infimes, il suggère l’absence d’une figure, le vide. « Il n’y a, peut-être, ici rien. » Roy Lichtenstein s’approcherait alors de ce que dit Beckett.

Ou aussi, de 1955 à 1997, Roy Lichtenstein se tourne vers le motif du paysage. Il regarde alors des peintures chinoises de la dynastie Song (Xe-XIIIe siècles). Il choisit un style extra-occidental. Il se situe, à la fin de sa vie, loin du commercial, loin de l’Amérique. Il veut exprimer le calme du paysage, la sagesse des poètes philosophes, la sérénité. Les points dégradés évoquent les montagnes, les rivières, les brumes. Se dessine le Rocher du lettré. Quelqu’un interroge Roy Lichtenstein : « Quel est votre dessein ultime en tant qu’artiste ? » Il répond : « Me fondre dans mon travail jusqu’à ce que j’atteigne le niveau de conscience le plus élevé possible… et puis mourir ! Qu’est-ce que vous dites de cela ? » 

  1. Dans le remarquable catalogue de l’exposition, de nombreux textes sont très passionnants, en particulier ceux de Camille Morineau, d’Émilie Bouvard, d’Annabelle Ténèze, d’Alain Cueff, de Graham Bader.
Gilbert Lascault

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