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Un monstre magnifique

Article publié dans le n°1184 (01 déc. 2017) de Quinzaines

Qu’est-ce qu’un monstre ? Un individu hors des normes, qui a choisi de vivre libre, guidé par son désir, rejetant les « pertes d’être » et le spleen de « ces soirs où l’on est fatigué de vivre et effrayé de mourir ».
Qu’est-ce qu’un monstre ? Un individu hors des normes, qui a choisi de vivre libre, guidé par son désir, rejetant les « pertes d’être » et le spleen de « ces soirs où l’on est fatigué de vivre et effrayé de mourir ».

D’emblée les singularités sautent aux yeux : pas de prénom, juste un patronyme royal, rayonnant au fronton du volume, étrennant sa devise orgueilleuse, « plus libre encore », qui affirme une progression, une conquête, une souveraineté ; et, tenu jusqu’au bout, avec ses phrases qui giclent en brefs paragraphes, un style oral, ponctué de termes grossiers qui, loin de choquer, nous introduisent dans la familiarité d’un homme affranchi des « barrières » de la convention et du jugement d’autrui. Il le proclame : « Mon histoire, elle est dans ces pages, nulle part ailleurs. » Nous voilà pris.

 Le rythme haché de la phrase porte une respiration haletante, comme celle d’un nageur qui fend les eaux fangeuses, les zones aqueuses de la sordide actualité, pour parvenir à coïncider avec sa propre vérité, la vérité de l’art, ou de l’artiste. La vérité du salut par l’art et le désir, maître-mot. Les confidences, les polémiques, les vaticinations, construisent un récit qu’illumine la formation d’un héros de roman.

Cela ne s’est pas fait d’un coup de baguette magique. Des noms prestigieux concourent à engendrer le personnage. On rencontre d’abord les initiateurs, de grands professionnels du théâtre. Jean-Laurent Cochet lui apprend le maniement des mots. Claude Régy l’initie aux silences « où les mots prennent leurs racines ». De leur alliance naît la fascination telle qu’elle s’exercera par le génie d’une Marguerite Duras, les modulations mystérieuses de Barbara, sous l’emprise de la grande littérature, celle de saint Augustin ou de Stefan Zweig, « une conscience magnifique » – adjectif dont Depardieu raffole.

Surviennent ensuite les personnages extraordinaires qui assument la fonction de références exemplaires ou avec lesquels il a travaillé. Michel Simon, Marlon Brando, John Cassavetes, font partie des premiers. Pour évoquer les seconds, Depardieu trouve des accents bouleversants : Maurice Pialat, « un monstre parce qu’il était à vif », doté d’« une clairvoyance, une lucidité et une honnêteté irréprochables ». Il y a celui qu’il nomme affectueusement par son prénom, François, François Truffaut bien sûr, avec qui « il y avait toujours du plaisir, un plaisir malin, une liberté, une intelligence. Et une honnêteté irréprochable » – qualité fondamentale, cette honnêteté, cette authenticité. Il faudrait aussi citer les acteurs et réalisateurs de la grande époque du cinéma italien.

Le lecteur découvrira bien d’autres fragments passionnés, où jaillit toute la gamme des émotions et qui se succèdent ou se chevauchent pour créer une sorte de poème oral, décousu et prenant. Rédigeant cette recension, je me suis demandé si le prestige du nom n’influait pas sur ma lecture au-delà de mes goûts de grammairien. Comment savoir ? Mais, comme le dit notre monstre, « ce que je trouve magnifique dans le Talmud et la religion juive, c’est la façon dont on répond toujours à une question par une autre question ». Donc, je questionne : vous fâcherez-vous, Gérard Depardieu, si je vous fais observer que les premières paroles prononcées par Tartuffe ne figurent pas au début de la pièce, mais à l’acte III, scène II ?

Serge Koster