Judicieuse initiative : mener l’investigation en construisant le récit selon l’axe des verbes qui impulsent une quête dynamique, épousant les facettes multiples d’un homme qui a varié dans ses choix politiques successifs comme dans ses aventures amoureuses et qui a pratiqué tous les régimes comme tous les genres, incarnant de toute sa stature un XIXe siècle protéiforme. Si l’on se convainc que « la mort change la vie en destin », il est logique de voir la chaîne des verbes commencer par « Mourir » et s’achever avec « Croire », partant de la disparition inexorable pour s’ouvrir à l’infini de la transcendance, comme indiqué dans les ultimes lignes du testament de Hugo, aux inflexions œcuméniques et sociales : « Je refuse l’oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes. / Je crois en Dieu. »
À suivre cette trajectoire problématique, l’auteur réussit le tour de force, en mettant ses pas dans ceux du chef de file des romantiques, tour à tour romancier, poète, orateur, de composer une biographie dont la concision n’interdit pas le caractère presque exhaustif. Chaque verbe fait surgir un quartier, des figures, des événements notables de la vie de Hugo. « Habiter » restitue l’enfance, la famille, les parents, nous transportant de Besançon (lieu de naissance) à Madrid (garnison du père, le général Léopold Hugo), et bien sûr à Paris (avec la mère, Sophie, les frères, la future et bientôt épouse Adèle Foucher) – sans négliger les circonstances historiques. On appréciera, entre autres qualités, la maîtrise narrative avec laquelle l’essayiste parvient à suivre l’ordre chronologique, grâce à un emploi remarquable d’incursions spatio-temporelles dans le passé, le futur et l’ailleurs, Paris devenant par exemple l’horizon de liberté sur la ligne duquel se fixe le regard majestueux du poète exilé dans les îles Anglo-Normandes durant tout le Second Empire. « Marcher » résume bien la méthode qui donne sa valeur fonctionnelle à l’étude : « La poésie, la nature, l’histoire, les mœurs, tout y passe avec curiosité et humour. Se promener, c’est picorer, rêver. »
Loin de n’être que factuel, Le Paris de Hugo offre des aperçus essentiels sur les chefs-d’œuvre qui ont surmonté l’épreuve du temps. Il n’est pas inutile de signaler que Nicole Savy a coédité Les Misérables (paru en 1862) et qu’elle est probablement l’une des meilleures connaisseuses de ce monument. Le chapitre « Écrire » consacre des développements féconds à cet immense roman et met en lumière la faculté qu’a Nicole Savy de rassembler les informations capitales et en quelque sorte totalisantes : « Le roman dit ainsi, fortement, la nostalgie du Paris dont l’auteur est exilé. Des Paris, devrait-on plutôt dire : celui du Moyen Âge, ou ce qui en reste ; celui, encore provincial et verdoyant, des années 1800 ; celui des années 1830, qui commence timidement à se moderniser ; celui du Second Empire, qui ne figure pas dans le roman, formidable chantier qu’il ne verra pas avant 1870 » (c’est-à-dire après la chute de Napoléon III et le retour d’exil du poète). On appréciera le processus d’expansion historico-géographique, comparable à un panoramique de cinéma, qui permet d’englober le maximum d’informations dans le déploiement d’une unique phrase. On laisse le lecteur imaginer ce que des chapitres comme « Combattre »ou « Aimer » font surgir sur la toile de l’Histoire, dont Hugo est un protagoniste infatigable, ou le long de la trame sentimentale et sexuelle, intensément dotée.
Belle contribution à la lecture de Hugo que ce bref volume qui nous donne rendez-vous avec l’écrivain en sa ville.
Serge Koster
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