Pour atteindre le poème qui commence et finit sur les rabats de la feuille de couverture, il faut déplier le leporello paru aux éditions Littérature mineure, qui publient des textes rares ou inédits, toujours précieux, d’auteurs aussi divers que Trakl, Apollinaire, Bukowski, Christophe Manon, Daniel Darc ou Yannick Torlini.
C’est un chant, celui de l’amour éperdu qui s’éloigne, puis réapparaît. Le poème commence par un portrait sous forme de blasons de l’aimée. On lit les formulations simples du premier jour : « [m]on amour, c’est… » À la nature la femme d’évidence se lie : « branche fruitière » d’un jardin mythique où les pommes d’or ne sont pas encore cueillies. L’abondance est consacrée par l’alliance de mots qui ouvrent sur l’infini. Le point d’équilibre atteint dans le poème et dans la vie (« jaillissante / contenue ») signifie le temps de l’amour épanoui dans des instants éternels. La comparaison est son mode d’approche, mais elle délivre les paroles simples de l’accord heureux. L’adverbe « comme », anaphorique et rythmique, rejoint la gloire donnée à l’unique état d’aimer. Le verbe « embrasser » au présent d’éternité introduit en italiques un refrain-ritournelle qui entérine l’évidence panthéiste :
et je t’embrasse
je t’embrasse
t’embrasse
La phrase répétée en échos s’affaiblit, le « je » s’efface.
Alors nous voyons agir l’aimée, « artiste en images : / en lumière / qui peut être / une obscurité / sans compromis ». La voie d’union est tracée entre le « je » offert et cette photographe « virtuose en herbes / et en fleurs ». La photographie, art de lumière, lui est un mode d’adhésion au monde, même si des menaces apparaissent : le « dard du soleil » pointé sur le corps aimé, l’« obscurité », l’« il n’y a pas » si proche de l’« il y a ». En un cruel parallélisme, la négation qui apparaît réduit le vivant. Le « galet de cécité » du début n’est-il pas l’appareil photo fermé, ne captant plus la lumière ?
L’utilisation inhabituelle de deux-points en début de vers transforme l’image qui suit en conséquence immanquable :
c’est
l’explication de l’alliance
: le dard du soleil
s’élance
encore une fois
dans
la clarté de tes épaules
Cette seule ponctuation rythme l’assaut d’un passé retrouvé, car les mots d’alors (pas ceux d’ailleurs, ceux d’ici) captent ce qui fut.
Le poème végétal est composé de quatre phrases qui se déploient verticalement, forment de minces ramifications, de fins bourgeons et poussent obstinément (vers le bas, comme l’exige notre écriture). Les vers sont brefs, une syllabe parfois, sept au plus. Des fleurs de mots se décalent vers la droite. René Guy Cadou avait évoqué, lui aussi, ces « Jardins qui recul[ent] / Sans cesse l’horizon » dans le « règne végétal » de son Hélène.
Femmes amoureuses du détail des fleurs par le polaroïd capté, entre elles deux les motifs floraux du texte rappellent les bouquets offerts au temps vivant du passé :
je t’apporte
des fleurs
pour cause
de tout et de rien
autour de toi
c’est
le vivant prodigue
Le charme du chant orphique nous guide. Nous vivons l’affinité secrète de mots que le blanc, parfois, détache pour respirer plus fort, souffle court, comme au matin du printemps les fleurs se vouent au mystère.
Apostille : Parmi l’importante bibliographie de Denise Le Dantec, citons Encyclopédie poétique et raisonnées des herbes (Bartillat, 2000), Journal des roses (Bartillat, 2002) et Journal de l’estran. Île Grande (La Part commune, 2010).
Isabelle Lévesque
Commentaires (identifiez-vous pour commenter)