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Voyages de Zbigniew Herbert

Article publié dans le n°1105 (16 mai 2014) de Quinzaines

L'intrépide éditeur va au bout de son projet, les « Œuvres complètes » de Herbert, auteur encore peu connu en France. Ici même, nous avons pré-publié deux poèmes tirés du volume intitulé « Epilogue de la tempête » (NQL n°1 099). Les proses qui paraissent en même temps, récits de voyages en France et en Italie pendant deux ans (1958-1960), lorsque l'écrivain eut la chance de recevoir un passeport, devraient compléter et favoriser la lecture des poèmes.
Zbigniew Herbert
Epilogue de la tempête. Œuvres poétiques complètes III (Le bruit du temps)
Zbigniew Herbert
Un barbare dans le jardin. Œuvres en prose, III (Le bruit du temps)
L'intrépide éditeur va au bout de son projet, les « Œuvres complètes » de Herbert, auteur encore peu connu en France. Ici même, nous avons pré-publié deux poèmes tirés du volume intitulé « Epilogue de la tempête » (NQL n°1 099). Les proses qui paraissent en même temps, récits de voyages en France et en Italie pendant deux ans (1958-1960), lorsque l'écrivain eut la chance de recevoir un passeport, devraient compléter et favoriser la lecture des poèmes.

Mû par la culture classique reçue au lycée avant la guerre, et sa curiosité, presque son avidité, aiguisées par l’enfermement dans les frontières organisé par le régime communiste, Herbert, qui a alors une trentaine d’années, accueille les paysages et les monuments, et il cherche, par une foule de lectures dont il efface l’encombrement (pas de notes érudites), à comprendre comment ont vécu les hommes du passé (y compris les artistes de Lascaux), comment ils ont bâti (avec quelles pierres, quelles machines, selon quels plans, ou sans plan) les cathédrales dont il perçoit et décrit délicatement l’élan propre et comme l’harmonie individuelle, comment Piero della Francesca a peint ses œuvres à la simplicité et à l’impersonnalité énigmatiques, et il va les regarder à Londres, à Pérouse, où il prend son petit déjeuner en face « d’un homme aux cheveux gris, barbu, avec des yeux étroits et une allure de boxeur à la retraite » (c’est Ezra Pound), à Arezzo, à Urbino.

Ce regard qui parcourt les siècles fait penser à celui de Malraux - pour qui Herbert a visiblement de la sympathie -, mais avec une simplicité, une modestie, un sens étonnant de la vie prosaïque, qui rendent d’autant plus frappant chaque aperçu. Ainsi du portrait du duc d’Urbino : « Le personnage du duc tombe au premier plan comme un météore brûlant, d’un ciel d’une légèreté indicible. » Son âme sensible à la grandeur des œuvres n’oublie pas de noter ce qui est mesquin. Dans la grotte de Lascaux, « la froide lumière électrique est atroce ». Par contraste, dans ce qu’on nomme la « nef » de la grotte : « composition d’une force d’expression inégalable, devant laquelle toutes les violences des peintres d’aujourd’hui semblent puériles, deux bisons couleur de goudron ».

Deux essais plus proprement historiques forcent l’attention, l’un consacré aux albigeois ou cathares et à la destruction de leur riche culture par la croisade (on croit y entendre l’écho des réflexions navrées de Simone Weil sur « l’inspiration occitanienne »), l’autre aux Templiers, dont l’ordre fut cruellement détruit par Philippe le Bel. Herbert s’y confronte directement à la violence politique, à la ruse, au fanatisme et à la cruauté. Il a lu les livres de René Nelli, comme il convient, et les procès-verbaux des interrogatoires des cathares. Et c’est avec une sorte de précise impartialité qu’il reconstitue les assauts, la logique des tortures, le martyre final. « Une fumée épaisse, écœurante, descend dans la vallée et se dissipe à travers l’Histoire. » C’est la fin de Montségur.

La même conscience douloureuse et informée donne leur sobre justesse aux poèmes.

Pierre Pachet

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