Avignon, 2022 : le retour d’Arlequin

Article publié dans le n°1246 (12 juil. 2022) de Quinzaines

Pour cette nouvelle création, Ma jeunesse exaltée, Olivier Py retourne au gymnase du lycée Aubanel, installant ses tréteaux dans les lieux mêmes où il avait fait sensation avec son spectacle devenu mythique, La Servante, qui en 1995 avait scellé son aventure avignonnaise.

OLIVIER PY

MA JEUNESSE EXALTÉE

Texte et mise en scène d’Olivier Py

Aide à la mise en scène : Guillaume Gendreau

Avec Olivier Balazuc, Damien Bigourdan, Céline Chéenne, Pauline Deshons, Émilien Diard-Detœuf, Xavier Gallais, Geert van Herwijnen, Julien Jolly, Flannan Obé, Eva Rami, Bertrand de Roffignac, Antoni Sykopoulos

Gymnase du lycée Théodore-Aubanel

14, rue Palapharnerie 84025 Avignon

8, 9, 10, 12, 13, 14, 15 juillet, à 14 heures

Durée : 10 heures, avec entractes

 

MA JEUNESSE EXALTÉE

Actes Sud – Papiers, 2022, 392 p., 24 €

Pour cette nouvelle création, Ma jeunesse exaltée, Olivier Py retourne au gymnase du lycée Aubanel, installant ses tréteaux dans les lieux mêmes où il avait fait sensation avec son spectacle devenu mythique, La Servante, qui en 1995 avait scellé son aventure avignonnaise.

Ainsi, vingt-sept ans après, Ma jeunesse exaltée s’inscrit en écho, en miroir avec La Servante. Il s’agit à nouveau d’une longue tétralogie épique. Mais si La Servante est une lampe dont « lincandescence mystique illuminait alors les personnages », aujourd’hui Ma jeunesse exaltée a des accents plus ironiques[1].

Le personnage central, sale et habillé en « déchirures polychromes » (alors que les autres endossent des costumes contemporains), celui qui traverse avec flamboyance cette tétralogie épique, c’est le fascinant Arlequin. Arlequin, l’orphelin bergamasque, incarné par le jeune acteur Bertrand de Roffignac, est « vérité nue », « sourire » encore en devenir. Il représente la Jeunesse et symbolise le Théâtre : « Je suis le jeu, dit ce facétieux Arlequin, pique, cœur, carreau, trèfle, je porte bien mon nom et mon nom me porte… » Son nom le porte insolent, beau, indomptable.

Mais cet Arlequin, comme le souligne Olivier Py, « manque encore des forces pour être à la hauteur de ses combats et a besoin d’un vieux poète ». Ce vieux poète n’est autre qu’Alcandre dans sa vieille robe de chambre, interprété par l’acteur Xavier Gallais. Il sera son mentor car il pressent un nouvel Arlequin. La relation entre le vieux poète – auteur oublié dun petit livre bleu, et fanatique de Rimbaud – et le jeune Arlequin sera décisive. Leur pacte est promesse, celle d’un renouveau, et celle que bientôt nous verrons sur scène « tout ce que peut encore une jeunesse exaltée ». Leur rencontre en elle-même est cocasse, et va faire se déployer en Arlequin toute sa puissance poétique. Ils provoqueront tous deux les plus importants bouleversements.

La poésie peut-elle être une boussole pour affronter le monde, et sa puissance créatrice le moteur pour le changer ? Olivier Py affirme n’écrire toujours et encore que cette même histoire, « celle d’un jeune homme qui combat la violence du monde ». Et voilà Arlequin, le petit arlequin livreur de pizzas, qui aurait inventé une manière de vivre « que l’on ne peut ni acheter, ni vendre », s’élançant fougueusement vers sa destinée. Comme chez Goldoni Marivaux, il n’aura bientôt de cesse d’interpeller chacun, la société actuelle, l’univers, ou d’invoquer le ciel bleu.

Le premier volet évoque ainsi « Les débuts d’Arlequin » avec une intrigue qui se noue autour du faux poème de Rimbaud, « La Chasse spirituelle », une falsification qui a fait grand bruit. On s’arrache le manuscrit à différentes fins, et cependant… quelque chose est à l’œuvre. À travers le poète qui incarne la Jeunesse et labsolu littéraire, Olivier Py non seulement exprime sa passion rimbaldienne, mais interroge l’avenir du poème, de la poésie, ses capacités politiques, son sens pour les générations nouvelles, tout en réaffirmant les forces telluriques du verbe.

Le second volet, « La trahison d’Arlequin », met à mal les relations d’Arlequin et d’Alcandre. Dans une tonalité plus grave, il mélange farce et tragique, en traitant de Dieu, de la mystique et de la foi, avec des personnages sous les feux de disputes théologiques, comme sœur Victoire ou la fausse sainte Esther qui aimerait… croire.

Quant au troisième volet, « La mort d’Arlequin », c’est la partie révolutionnaire et politique, celle qui va provoquer la chute du pouvoir. Le quatrième volet voit « Le triomphe d’Arlequin », et il sagit dune plongée dans les Enfers, où le héros, à la faveur du rire et d’un sonnet des plus scabreux, inversera sa destinée.

Dans cette épopée arlequinesque hallucinante où le théâtre est mis continuellement en abyme, canulars et falsifications salvateurs sont lancés, avec force, contre les puissants. Ma jeunesse exaltée est un plaidoyer pour le combat, un manifeste pour des « lendemains meilleurs » et l’affirmation de ce que peut cette « jeunesse exaltée » avec toute l’énergie du « commencement ». Quelque chose vient !

[Extrait]

« Dans une pizzeria. Arlequin en costume de livreur. Il lit un petit livre bleu.

Arlequin. “Quelque chose vient ! Quelque chose vient, toujours. Et si rien ne venait ? Mais non, c’est impossible, le temps qui vient vient toujours et il vient toujours aussi celui dont le cœur est plus grand que les démissions du monde. Quelque chose vient mais avons-nous la force de l’attendre encore ? Et aurions-nous la force de reconnaître ce qui vient, ce qui vient toujours inlassablement, comme le temps frappant inlassablement les solitudes ? Et si c’était trop grand, trop éblouissant ? Et si ce qui vient nous demandait d’abandonner notre douleur ? Notre douleur, dans un temps où notre douleur est notre seul visage.” “Je souffre donc je suis”, dit le consommateur avant d’agrandir son horizon spirituel avec des objets inutiles. Oui, il faudrait attendre, attendre quoi ? Attendre ce qui vient, il faudrait un ami très fidèle qui vous murmure à l’oreille cette phrase terrible : “Quelque chose vient ?”(S’arrêtant de lire.) »

[1] La « servante », au théâtre, est une lampe placée généralement au milieu du plateau ou en avant de la scène, pour être utilisée au moment des répétitions ou à la fin du spectacle. Parce qu’elle reste allumée quand le théâtre est vide et plongé dans le noir, elle symbolise l’âme immortelle du Théâtre.

Barbara Hutt

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