Carnet de voyage. Entretien avec Olivier Bleys

Voyageur, écrivain, passionné de marche, Olivier Bleys a développé une activité de voyage à travers le monde qui se traduit par la création de carnets de marche multimédia sur Internet. L’écrivain a donné plusieurs entretiens dans lesquels il expliquait la genèse de ses romans ; dans celui-ci, il évoque sa conception du voyage.
Voyageur, écrivain, passionné de marche, Olivier Bleys a développé une activité de voyage à travers le monde qui se traduit par la création de carnets de marche multimédia sur Internet. L’écrivain a donné plusieurs entretiens dans lesquels il expliquait la genèse de ses romans ; dans celui-ci, il évoque sa conception du voyage.

Velimir Mladenović : Êtes-vous un voyageur qui écrit ou un écrivain qui voyage ?

Olivier Bleys : La réponse n’est pas unique, mais oscille entre les deux pôles. Pendant de nombreuses années, j’ai été un écrivain qui voyage. Je m’identifiais entièrement à la carrière littéraire, prometteuse, qui semblait s’ouvrir à moi. Avec l’âge, ma position a changé. Le milieu littéraire m’est resté assez étranger, et garde peu de mystère à mes yeux. À l’inverse, j’apprends beaucoup au contact des voyageurs, singulièrement des aventuriers.

VM : Qu’est-ce que le voyage représente pour vous ?

OB : C’est avant tout une façon d’établir la distance dont ma création a besoin. Distance dans l’espace, envers un quotidien qui m’inspire peu (je ne souscris pas à cette idée que les auteurs français, en général, seraient des diaristes, des narrateurs du quotidien). Distance aussi dans le temps, que j’éprouve en sillonnant des paysages inchangés depuis des siècles. Les romans historiques que je publiais naguère chez Gallimard s’en sont longtemps nourris.

VM : Prenez-vous des notes lors de vos voyages ?

OB : Presque jamais. Je ne tiens aucun journal, ne cultive aucune écriture privée. Les seules notes que je prends, factuelles, servent à préparer les récits de marche dont la publication jalonne mon tour du monde à pied[1].

VM : Dans plusieurs de vos ouvrages, comme par exemple Concerto pour la main morte, il y a des références à l’Europe de l’Est. En quoi cette région vous inspire-t-elle ?

OB : C’est un peu le hasard qui m’a mis sur les chemins de l’Est. Mon tour du monde à pied a traversé la Slovénie, la Hongrie, l’Ukraine : je pouvais difficilement éviter le sujet. Me voici d’ailleurs à la frontière russe, que je franchirai l’été prochain. Mais cette thématique a surgi assez tard dans mon parcours. Jeune homme, je voyageais surtout en Afrique du Nord, à Madagascar, au Brésil… sous des climats plus chauds.

VM : Vous avez consacré un livre, Maison pour un ambulant, à la vie du peintre slave Vassily Polenov…

OB : Je ne connaissais rien de ce peintre ni de son œuvre, avant d’effectuer une résidence d’artiste dans le domaine que détient sa famille, Polenovo, à une centaine de kilomètres au sud de Moscou. Ce « musée-mémorial », selon l’expression russe, est dirigé par une descendante directe de l’artiste, Natalya Polenova. Une jeune femme très dynamique et inspirée, qui fourmille d’idées pour promouvoir l’héritage familial.

VM : L’action du roman Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes se déroule en Chine. Quels points communs repérez-vous entre la Chine capitaliste d’aujourd’hui et l’Europe ?

OB : Ces points ne sont pas communs seulement à la Chine et à l’Europe, mais, hélas, à l’ensemble de la planète. Voilà quelques décennies, on s’étonnait de l’ubiquité de Coca-Cola, dont les canettes, de fait, avaient colonisé jusqu’aux villages les plus reculés d’Afrique. Ce constat, on pourrait désormais le poser pour de nombreuses marques – des boutiques de vêtements ou de parfums (jamais des librairies), dont les enseignes brillent à Shanghai comme à New York, à Belgrade comme à Vladivostok. La menace d’un monde uniforme s’est accrue dans des proportions inquiétantes. Voilà ce qui rapproche, ce qui superpose même, l’Europe et la Chine capitaliste d’aujourd’hui : un triste étalage de nourriture industrielle et de prêt-à-porter. La littérature, instrument d’émancipation et vecteur d’identité, est, à l’inverse, partout en régression.

VM : Dans Voyage en francophonie, vous avez décrit le monde francophone. Qu’avez-vous appris de ce voyage ?

OB : La francophonie est une idée sympathique, à laquelle j’adhérais pleinement à l’époque où j’ai commis ce livre. J’en suis revenu, depuis. Cet idéal, porté très haut dans les années 1960 par des intellectuels – européens ou non – qui avaient cette langue en partage, s’est réduit comme peau de chagrin. Dans les coulisses de la francophonie, aujourd’hui, on trouve peu d’esprits éclairés ; plutôt des fils ou des filles à papa qui mènent une diplomatie de cour et perçoivent des revenus hors de proportion avec leur mérite réel. C’est un beau gâchis.

[1]http://olivierbleys.com/geopedis/

[Olivier Bleys, né en 1970, a publié de nombreux livres : romans, essais, récits de voyage, bandes dessinées… Parmi ceux-là : Le Voyage (Desclée de Brouwer, 2002), Voyage en francophonie. Une langue autour du monde (Autrement, 2010), Concerto pour la main morte (Albin Michel, 2013), Manifeste de la marche (Elytis, 2016), Maison pour un ambulant (Méroé, 2017), Les Aventures de poche (Hugo & Cie, 2018). En 2014, il a été nommé chevalier des Arts et des Lettres et en 2016 a reçu le prix Amic de l’Académie française pour Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes (Albin Michel, 2015).]

Velimir Mladenović

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