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Conversations en bord de route

Article publié dans le n°1057 (16 mars 2012) de Quinzaines

« Au début, on était au bord. » Cette phrase revient comme un leitmotiv dans le nouveau récit de Maryline Desbiolles, Dans la route. L’écrivain s’attache à un petit bout de territoire, Fontaine-de-Jarrier, non loin de Nice. Elle vit là depuis vingt ans ; on réaménage un rond-point. Alors elle enquête. D’abord sur les accidents et les morts qui ont jalonné cette partie de la route qui mène à Turin. Morts de ce siècle, morts du passé, quand la Révolution ou des brigands de carnaval passaient là. Elle enquête aussi sur les vivants, comme le vieux Sasso, La Thomas, Gaby l’esthéticienne flouée ou la superbe Reine qui tient une pizzeria à deux pas de là. C’est donc l’histoire d’une géographie, sur laquelle nous avons voulu questionner l’auteur.
« Au début, on était au bord. » Cette phrase revient comme un leitmotiv dans le nouveau récit de Maryline Desbiolles, Dans la route. L’écrivain s’attache à un petit bout de territoire, Fontaine-de-Jarrier, non loin de Nice. Elle vit là depuis vingt ans ; on réaménage un rond-point. Alors elle enquête. D’abord sur les accidents et les morts qui ont jalonné cette partie de la route qui mène à Turin. Morts de ce siècle, morts du passé, quand la Révolution ou des brigands de carnaval passaient là. Elle enquête aussi sur les vivants, comme le vieux Sasso, La Thomas, Gaby l’esthéticienne flouée ou la superbe Reine qui tient une pizzeria à deux pas de là. C’est donc l’histoire d’une géographie, sur laquelle nous avons voulu questionner l’auteur.

La Quinzaine littéraire – D’abord, « Dans la route » et non « Sur la route ». Le titre a déjà été pris il est vrai, mais pouvez-vous en dire plus ? 

Maryline Desbiolles – Ce livre aurait pu s’appeler Cent cinquante mètres de route car une de ces particularités est l’exploration d’une toute petite portion de route, à côté de chez moi en effet. Mais « dans » indique qu’il ne s’agit pas d’une narration de haut, pas d’une narration qui sait comment tout cela va finir. Le « Je », l’écriture de Dans la route, sont pris dans la même pâte que celle des personnages. « Je » est avec les personnages, avec l’histoire de la route, avec ce qui continue de s’y jouer. Il faut admettre que ce livre est un surplace, mais un surplace aventureux, et que cette route ne mène pas mais confond.

QL – La matière joue un rôle éminent dans ce récit. Mais c’est vrai de La Seiche, de la plupart de vos livres dans lesquels on sent une narratrice que le concret, le physique passionnent. Ici, ce sont les strates du sol, ce qui fait la route…

M. D. – Sa pâte, oui... C’est le chantier qui s’est ouvert sur la route qui m’a fait la regarder à nouveau, la regarder de près. La poussière, les machines, l’enrobé. C’est le chantier qui m’a montré, à la lettre, l’épaisseur de la route…

QL – Vous vous attachez à un petit territoire près de Nice, comme dans Je vais faire un tour (mais là, côté champ et collines). Pouvez-vous en dire plus sur cette attirance pour le local ?

M. D. – Le voyage, la découverte, la première fois sont séduisants, mais je fais le pari que le plus proche n’est jamais donné, que le même n’est jamais connu, et qu’en l’arpentant, en l’observant, on peut le déployer à l’infini.

QL – Les personnes que vous évoquez, personnes réelles, sont aussi des personnages. Un des noms, Anchise, rappelle un de vos romans. N’avez-vous pas été tentée par le « roman de Fontaine-de Jarrier » ? Il y aurait même une dimension policière, si l’on songe au trésor, ou si l’on pense à certains meurtres…

M. D. – J’ai eu beaucoup de plaisir à reprendre des motifs d’Anchise, ses personnages, à les placer dans la lumière de nouvelles figures, à les mettre eux aussi en chantier. J’ai le sentiment que je n’en aurai jamais fini avec eux pas plus qu’avec le roman de Fontaine-de-Jar rier… La dimension policière est peut-être dans ce qui me tient moi-même toujours en haleine…

QL – Ce récit, comme C’est pour tant pas la guerre, ou d’autres de vos livres, a une dimension politique, au sens où le monde tel qu’il est ou tel qu’il va mal est présent. Qu’en diriez-vous ?

M. D. – Bien sûr. Condition des ouvriers du chantier, des intérimaires le plus souvent, aveuglement de certains personnages qui veulent se confor mer à des modèles « vus à la télé », abandons, figures méprisées… Ces personnages de bout du monde sont inscrits dans le monde.

QL – C’est aussi un livre drôle. « Méchant changement », Madame Laurent ou encore La Thomas et ses belles-filles ont quelque chose d’amusant. Parlez-nous un peu de ces figures-là…

M. D. – L’étrangeté de ces personnages fait rire, mais c’est justement quand elle nous fait rire qu’elle n’est pas si loin de nous… Rire de mes personnages est une manière pour moi de m’agripper à eux. Ceux que je « préfère » sont parfois ceux que j’ai le plus cruellement brocardés. Et bien sûr je ris avec eux de mes propres ridicules.

QL – Comme dans beaucoup de vos livres, la couleur joue un rôle éminent. Ici, comme dans Primo, on part du blanc, du lumineux. Puis viennent le jaune et le rouge. Quelle importance a pour vous la palette , voire la dimension plastique ?

M. D. – La peinture compte beaucoup pour moi. Sans la lumière et ses variations, je crois bien que pas un décor, il façonne les personnages. L’âpreté de mes collines est une des « qualités » d’Anchise ou de Sasso…

QL – Cette dimension plastique, on peut aussi la percevoir dans la phrase, dans son rythme. Ainsi, celle qui présente Sasso fait bien deux pages. De même, dans Primo, la traversée d’Annecy par la grand-mère en deuil était une
phrase travelling de deux ou trois pages. Comment façonnez-vous la phrase ?

M. D. – Je fais confiance à la phrase, à son mouvement, je n’aime rien tant qu’être emportée par elle… J’ai conscience de demander beaucoup à mes lecteurs : je leur demande de se laisser faire…

QL – Votre style est très écrit, et en même temps, on sent la présence de la langue parlée. Comment avez-vous procédé ? Quel lien voyez-vous entre oral et écrit ?

M. D. – « L’œil écoute », comme l’écrit Claudel… J’aime entendre ma langue dans la bouche des autres, elle n’est plus si mienne ou les autres plus si autres. J’aime entendre d’autres langues… J’aime que les mots, la manière de dire, attrapés çà et là, entrent dans ma phrase, que l’écriture soit perméable, imprégnée de langue, des langues vivantes. J’aime que l’écriture soit dans la langue.

Norbert Czarny

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