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Une critique d'affinité

Article publié dans le n°1000 (01 oct. 2009) de Quinzaines

La Polynésie, les Antilles, l’Afrique, l’océan Indien… Glissant, Ananda Devi, Nimrod, Farah, C. T. Spitz… Depuis près de dix ans, il m’a été donné de lire, pour La Quinzaine, le...

La Polynésie, les Antilles, l’Afrique, l’océan Indien… Glissant, Ananda Devi, Nimrod, Farah, C. T. Spitz…

Depuis près de dix ans, il m’a été donné de lire, pour La Quinzaine, les œuvres de romanciers issus de ces régions du monde que l’on n’appelle plus le Tiers-Monde et que l’on ne peut pas toujours appeler « des pays ex-colonisés ». Ces écrivains extraeuropéens écrivent dans des langues européennes et surtout publient souvent en Europe ; s’ils ne vivent pas toujours dans les pays dont ils sont originaires et si, par la force de l’histoire, ils résident en Europe leur pays vit en eux et s’inscrit fortement dans la mémoire de leur écriture.

Aller au plus près de ces œuvres, s’en approcher, c’est d’abord mesurer les distances qui en éloignent le « common reader » européen. La question (linguistique, politique, culturelle, éthique) de l’altérité se pose avec acuité quand on aborde ces littératures post-coloniales porteuses de traditions ancestrales mais en rupture avec la tradition, hantées par un passé violent et sombre mais héritières aussi, dans le choc brutal des conquêtes, d’une langue imposée ou adoptée qui leur échoit.

Sous les images chatoyantes, les parlers savoureux, la splendeur des paysages exotiques, le critique doit percevoir en quoi, dans des formes généralement empruntées à l’Europe et mêlées à d’autres venues de partout, s’exprime le grand lamento des nations dépossédées, le deuil des peuples ou des multitudes traumatisés. Il doit donc se déprendre du sentiment de fascination exotisante, de l’empathie militante naïve, du voyeurisme eurocentré, de l’objectivation stéréotypique ou du réductionnisme identitaire. En somme, transformer un regard informé par le colonial pour accéder à une écoute « post-coloniale » (selon le néologisme formé par les Postcolonial Studies anglo-saxonnes dont l’Université française aurait tant à apprendre...).

Pour tenir ce cap difficile et éviter ces écueils, peut-être faut-il s’efforcer de pratiquer une lecture que je dirais « d’affinité » ; j’entends par là, une critique qui côtoie l’œuvre, se déplace vers ses frontières, en éprouve les limites, apprécie sa beauté, circonscrit son lieu qui, bien qu’il soit enraciné dans l’histoire et la géographie (coloniales ou décoloniales), demeure singulier et offert librement à tout lecteur qu’il soit d’Europe ou d’ailleurs, à tout lecteur fraternel.

Patrick Sultan

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