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Laure Hillerin
Proust pour rire. Bréviaire jubilatoire de "A la recherche du temps perdu"
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L’arrondissement du général de Monserfeuil

- Ce pauvre général, il a encore été battu aux élections, dit la princesse de Parme pour changer de conversation.

- Oh ! ce n’est pas grave, ce n’est que la septième fois, dit le duc qui, ayant dû lui-même renoncer à la politique, aimait assez les insuccès électoraux des autres. Il s’est consolé en voulant faire un nouvel enfant à sa femme.

- Comment ! cette pauvre Mme de Monserfeuil est encore enceinte, s’écria la princesse.

- Mais parfaitement, répondit la duchesse, c’est le seul arrondissement où le pauvre général n’a jamais échoué.

Le Côté de Guermantes

Par ordonnance du médecin

Car la duchesse aimait à recevoir certains hommes d’élite, à la condition toutefois qu’ils fussent garçons, condition que, même mariés, ils remplissaient toujours pour elle, car comme leurs femmes, toujours plus ou moins vulgaires, eussent fait tache dans un salon où il n’y avait que les plus élégantes beautés de Paris, c’est toujours sans elles qu’ils étaient invités ; et le duc, pour prévenir toute susceptibilité, expliquait à ces veufs malgré eux que la duchesse ne recevait pas de femmes, ne supportait pas la société des femmes, presque comme si c’était par ordonnance du médecin et comme il eût dit qu’elle ne pouvait rester dans une chambre où il y avait des odeurs, manger trop salé, voyager en arrière ou porter un corset.

Le Côté de Guermantes

« Le plus sage est de s’en tenir aux auteurs morts. »

Le duc de Guermantes n’était pas enchanté de ces offres. Incertain si Ibsen ou d’Annunzio étaient morts ou vivants, il voyait déjà des écrivains, des dramaturges allant faire visite à sa femme et la mettant dans leurs ouvrages. Les gens du monde se représentent volontiers les livres comme une espèce de cube dont une face est enlevée, si bien que l’auteur se dépêche de « faire entrer » dedans les personnes qu’il rencontre. C’est déloyal évidemment, et ce ne sont que des gens de peu. Certes, ce ne serait pas ennuyeux de les voir « en passant » car grâce à eux, si on lit un livre ou un article on connaît « le dessous des cartes », on peut « lever les masques ». Malgré tout, le plus sage est de s’en tenir aux auteurs morts. M. de Guermantes trouvait seulement « parfaitement convenable » le monsieur qui faisait la nécrologie dans Le Gaulois. Celui-là, du moins, se contentait de citer le nom de M. de Guermantes en tête des personnes remarquées « notamment » dans les enterrements où le duc s’était inscrit.

Sodome et Gomorrhe

La Nouvelle Quinzaine Littéraire

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