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Brueghel

Ce Bruegel est une somme. Les monographies d’artistes dont l’œuvre est multiple, ouverte à différents points de vue, hésitent parfois entre l’histoire, les influences, voire les attributions. L’ouvrage de Larry Silver où se prêtent un mutuel appui le texte et les reproductions – pleine page de l’œuvre et détails – offrent une anthologie précieuse de l’œuvre de Bruegel.
Ce Bruegel est une somme. Les monographies d’artistes dont l’œuvre est multiple, ouverte à différents points de vue, hésitent parfois entre l’histoire, les influences, voire les attributions. L’ouvrage de Larry Silver où se prêtent un mutuel appui le texte et les reproductions – pleine page de l’œuvre et détails – offrent une anthologie précieuse de l’œuvre de Bruegel.

Sa vie de peintre commence à Anvers, lieu d’élection des ateliers, voire des fabriques, de gravures. Là, comme d’autres artistes, il forme son talent et affine sa technique sur des sujets divers.

Le livre dessine le parcours artistique de Bruegel, mais il fait aussi sa place au contexte historique dans lequel s’insèrent l’art et le marché de l’art d’Anvers que le commerce rend prospère.

Les étapes de la vie et de l’œuvre sont nettement et clairement marquées. Les illustrations sont excellentes, le texte va à l’essentiel dans une très bonne version française.

Le livre s’ouvre sur Le Portement de Croix. Ce grand tableau peint à l’huile sur bois, aujourd’hui à Vienne, est, par l’image et le titre, articulé sur le Crucifix et le Christ à terre. Mais la peinture est foisonnante de petites scènes qui retiennent l’attention, comme le font des œuvres comme Jeux d’enfants : des centaines de personnages jouent leur partie sans que soient toujours explicites les règles de leur jeu.

Dans Le Portement apparaissent des larrons et des bourreaux dont on a pu reconnaître ce qu’ils devaient à Jérôme Bosch. Bruegel a été dit « second Bosch ». Le chapitre ainsi intitulé, et sous-titré « Bruegel adapte une tradition » répond à l’image la plus familière de Bruegel. Mais ce n’est pas le tout de l’œuvre. Rien du « second Bosch » dans les images du chapitre précédent consacré au paysage : les dessins qui révèlent dans le peintre un « architecte du paysage », où une technique accomplie rend sensible, comme dans Paysage avec ville fortifiée, un espace où jouent l’ampleur de l’horizontale et l’oppression rendue par les fonds et les verticales.

Les œuvres du « second Bosch », les plus célèbres, retiennent l’attention. Les monstres, les jeux érotiques, les vues scatologiques… les choses sont claires, explicables et expliquées quand il s’agit des proverbes mis en image ou bien de la Tentation de saint Antoine, thème préféré de Bosch.

En 1556, Bruegel la met en scène à la plume et au pinceau. C’est de 1567 que date le jugement fameux sur Bruegel : « Peter Bruegel de Breda, grand imitateur du savoir et des fantaisies de Jérôme Bosch, ce qui lui valut le surnom de second Jérôme Bosch. »

Les fantaisies, ou, mieux, la Phantasie de Bruegel, nous pouvons nous y prêter. Du savoir nous avons besoin, souvent, de guide pour le pénétrer. Ni les proverbes populaires, ni l’Histoire sainte ne nous semblent suffisants dans des œuvres où fantaisie et savoir semblent se confondre. L’Orgueil (Paris, Institut néerlandais) n’a pas pour seule figure le Paon qui développe sa queue au centre du dessin. C’est à partir d’elle, de ses ocelles, que se compose et rayonne un monde-orgueil sans limite. La Force impose en figures multiples l’image de la Force même.

Le monde de Margot l’enragée (à Anvers) est célèbre : une levée de fantasmes. Ce théâtre ouvert par Dulle Griet à la porte de l’Enfer a appartenu à l’empereur Rodolphe II, amateur, collectionneur, passionné, tous les mots se chevauchent dans un monde sens dessus dessous, dans la rencontre brutale des hommes et des animaux, des humains et des objets, dans un monde où le surréalisme trouvera sans difficulté ses propres traces.

Après avoir cité le vers célèbre de L’Union libre, « ma femme à la chevelure de feu de bois », Philippe Audoin dans son essai sur Breton (Gallimard) écrivait : « Je pourrais multiplier les exemples, montrer comment le sable, le lit, le linge vont à la neige et comment ils vont au feu, assez érotisés en tout cas pour qu’ils s’unissent et magnifient les seins dans ma métaphore déjà rencontrée de l’hermine criante, neige de chair aveuglante dont le désir s’attise et, par la grâce des pointes, rougeoie. »

Georges Raillard