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Certains portraits sont insaisissables

Historienne de l’art, Camille Viéville commente, de très près, les portraits de Balthus (1908-2001). Elle lit les lettres de Balthus, celles, en particulier, qu’il envoie à Antoinette de Watteville, sa future épouse. Balthus s’affirme avec une certaine arrogance ; il éprouve la passion de la peinture. Avec exigence, avec une inquiétude contrôlée, il peint sans cesse.
Camille Viéville
Balthus et le portrait
Historienne de l’art, Camille Viéville commente, de très près, les portraits de Balthus (1908-2001). Elle lit les lettres de Balthus, celles, en particulier, qu’il envoie à Antoinette de Watteville, sa future épouse. Balthus s’affirme avec une certaine arrogance ; il éprouve la passion de la peinture. Avec exigence, avec une inquiétude contrôlée, il peint sans cesse.

En 1935, Balthus se considère l’unique véritable portraitiste de son époque. Altier, il écrit à Antoinette de Watteville : « J’ai, moi, une conception très précise et très spéciale du portrait qui a cessé depuis plus de cinquante ans. (…) Je réhabilite le portrait. Je le lave de la boue dans laquelle, pendant si longtemps, l’ont traîné ces affreux, ces ignobles, ces ignorants, grotesques et grossiers personnages représentant la peinture, cette chose dégoûtante, et je le remets à l’honneur. Enfin, on peut bien le dire sans passer pour spécialement vantard. Je suis aujourd’hui le seul, très exactement, qui soit capable de faire un portrait. Vive le Kig of Cats ! » Roi des chats, Balthus serait alors le seul portraitiste. Mais qu’est-ce qu’un véritable portrait ?

Les portraits de Balthus envoûtent, séduisent, troublent. Les visages de leurs modèles nous interrogent. Ces visages sont insaisissables, incompris, impénétrables. Ils sont énigmatiques. Ils s’imposent et résistent. Ils ne disent rien. Ils échappent à toute psychologie, à toute interprétation. Comme Piero della Francesca, comme Vinci, comme Ingres, comme Manet, comme Courbet, Balthus donne à voir la présence fugitive des modèles, leur puissance. Balthus inscrit un instant où se manifeste une adolescente qui ne sourit pas ou qui dort.

Balthus peint les peintres (le massif Derain, Miró), les écrivains (Artaud), les marchands d’art, les aristocrates, les collectionneurs, les enfants, ses épouses… Lorsqu’il représente Joan Miró et sa fille Dolorès (1937-1938), Balthus se souvient : « Miró regardait avec une grande intensité. C’était un homme très curieux. Il parlait très peu. Il était probablement très timide. Je l’étais aussi. La petite fille bougeait tout le temps. »

Les autoportraits de Balthus le montrent provocateur, sarcastique, tragique, dandy. Debout, désinvolte, il fixe le spectateur. Le tableau le plus connu s’intitule Le Roi des Chats (1935) ? Un énorme chat tigré, redoutable, frôle la jambe droite du peintre. Sur un tabouret haut, un fouet est posé ; la lanière du fouet dessine les courbes d’une signature. Dans son autre autoportrait (1940), Balthus, élégant, tient d’une main un chiffon blanc et de l’autre main un pinceau suspendu ; et la toile n’est pas vue. Dans un troisième autoportrait (1949), Balthus porte une blouse de travail, un bourgeron en grosse toile. Lui-même disait des peintres de la Renaissance : « Ces peintres étaient des artisans merveilleux. » Un autre tableau s’intitule Le Peintre et son modèle (1980-1981) : Balthus est vu de dos ; il regarde, par une grande fenêtre, le ciel lumineux.

Gilbert Lascault

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