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Dans la forêt sombre et profonde

À Évian, dans le Palais Lumière, cette exposition, complexe et bien organisée, rassemble quatre cent cinquante œuvres dédiées aux contes de fées.

EXPOSITION

CONTES DE FEES

De la tradition à la modernité

Palais Lumière

Quai Albert-Besson, 74500 Evian

6 décembre 2014 - 6 avril 2015

 

Livre catalogue de l'exposition

Ed. Snoeck/Palais Lumière et Ville d'Evian, 168 p.,

240 ill., 35 €

À Évian, dans le Palais Lumière, cette exposition, complexe et bien organisée, rassemble quatre cent cinquante œuvres dédiées aux contes de fées.

Se révèlent des peintures, des dessins, des gravures, des sculptures, des photographies, des extraits de films, des performances, des décors de ballets et d’opéras, des costumes de princesses et de sorcières, des livres illustrés, des pages de papier découpées, des plaques de lanterne magique, des puzzles, une toupie avec des images de contes de Perrault, trois petits Chaperons complètement rouges, une tirelire-maison de Pinocchio, un hochet-sifflet, les livres massifs et géants, les ouvrages minuscules. Apparaissent les gentils et les méchants, les courageux et les paresseux, les prudents et les agités, ceux qui ont la baraka et ceux qui supportent la scoumoune.

Dans ton rêve, la lettre F revient parfois. Dans les contes circulent les fées, les fantômes, les elfes, les filles (folles et sages), les funambules des foires, les éphèbes futés, les finauds, les flibustiers, les forbans, les filous, les fainéants, les fripons, les fanfarons, les jouvenceaux fougueux et fringants, les nymphes (fidèles ou infidèles), les fiers-à-bras, les forts et les fluets, les affamés, le capitaine Fracasse, les pères veufs, les mères défuntes, les bouffons, les raffinés, les gaffeurs, les ruffians, les ronfleurs, les malfrats, les loufoques, les balafrés, les captifs, les fugitifs, les officiers agressifs, les effrontés, les naufragés, les frondeurs, les profiteurs, les facétieux, les ogres féroces, le père Fouettard, les furieux, les forcenés, les fanatiques, les pacifiques, les sœurs et les frères, les enfants des familles (fortunées ou funestes)… Ce sont les fiançailles et les funérailles… Les héroïnes boivent l’eau douce et fraîche des fontaines fleuries, ou elles versent des larmes amères sur les flots du fleuve. Ou aussi, ce sont les fractures et les fracas des foyers.

Parfois, les fils fiers franchissent les façades des infantes enfermées, les forteresses de l’effroi… Ou bien, les garçons et les filles traversent les forêts touffues, les frênaies, les hautes futaies, les fourrés ébouriffés et farouches, le fond des bois. Ils s’approchent des gouffres profonds. Effarés, ils frissonnent, frémissent, sont effrayés par les fauves, par leurs griffes et leurs dents ; ils perçoivent des fourrures à demi entrevues dans les feuillages.

Les héroïnes et les héros touchent parfois les fours des sorcières, les fournaises, les enfers, la forge. Ils éprouvent les refus des autres, les rebuffades, les gifles, les fessées (chez la comtesse de Ségur), les fouets, les soufflets, les mornifles, les flammes, les fumées, les fêlures de l’âme, les affres, les affolements, la faim, la soif, le froid, les souffrances… Ou aussi, les princesses affectionnent les parfums subtils, les fragrances raffinées, les coiffures complexes, les étoffes précieuses, les froissements de la soie, le frou-frou, les coffres qu’offrent les fées, les saphirs, les émeraudes, les diamants… Alors, ton rêve changeant trame des fictions différentes, des fugues, des variantes, des caprices ; et les personnages se métamorphosent.

Dans une grande part des contes, une première formule est un commencement, un déclenchement, un départ, une amorce du récit, un jaillissement, une orée, un démarrage, un seuil : « Il était une fois… » Tu te places d’emblée dans un temps indéterminé, un instant incertain, un passé indécis, en un lieu imaginaire, en une époque indéfinie, en dehors de l’Histoire et de toute chronologie, dans le temps de l’imparfait de l’indicatif. Tu relis dans un conte : « Dans un pays lointain… Le roi régnait alors… Du temps où les animaux parlaient… »

Dans les contes et leurs images apparaissent les jeunes filles : Cendrillon, la Belle au bois dormant, Peau d’âne, le Petit Chaperon rouge, la nouvelle épouse de Barbe-Bleue, Blanche-Neige, la Belle dans le château de la Bête, la Petite Sirène d’Andersen, Alice au pays des merveilles, la bergère amoureuse du ramoneur… Tu n’oublies pas l’habile Chat botté, l’agile Petit Poucet, Pinocchio. À Évian, tu vois certaines œuvres d’artistes du XXIe siècle.

Par exemple, Katia Bourdarel crée un château suspendu sur une balançoire ; elle invente cinq louves (inquiétantes et séductrices) qui portent des masques et des fanfreluches brodées. Ou bien, Guillaume Baychelier organise une immense installation qui s’intitule Je ne sortirai plus de cette forêt. Ou encore, Miss Clara sculpte (en papier froissé) les robes et les chaussures des princesses. Ou aussi, Laurence Bonnet dresse trois chaperons rouges fantomatiques. Ou bien, Louise Collet imagine une vidéo-projection : les coraux, les branches de la sorcière des mers. Ou bien, Karine Diot découpe et sculpte (en papier) un jardin de la Petite Sirène. Et aussi, le grand créateur américain Jim Dine (né en 1935) a toujours été fasciné par Pinocchio, par les aventures de ce pantin qu’en 1878 Carlo Collodi raconte ; Jim Dine sculpte, dessine et grave (autour de 2008) la figure de Pinocchio, ses mensonges, ses mésaventures et sa maturité ; vers soixante-dix ans, Jim Dine considère alors Pinocchio comme un double de l’artiste ; car l’enfance de Dine serait proche de celle du pantin.

Souvent l’enfant connaît la terreur des ténèbres, la nuit redoutable, le chaos sombre de l’angoisse, le crépusculaire. Tu pénètres dans La Divine Comédie de Dante. Dans L’Enfer (chant I), tu es égaré, perdu. Et tu es éloigné de toute voie : « Au milieu du chemin de notre vie / Je me retrouvai par une forêt obscure… » Tu avances dans les forêts profondes et sombres, dans l’inconnu et l’opaque, loin de la clarté, loin d’un chemin certain, dans l’errance, dans l’égarement, dans le désarroi. Les arbres seraient des pièges ; ils évoqueraient des fantômes, des sorcières, des fauves, des démons, des ogres, des revenants.

La forêt est alors un terrain de sortilèges (heureux ou terribles), de sorcelleries, de diableries, de maléfices, de meurtres, de charmes qui séduisent ou nuisent, d’envoûtements, de rites dangereux, de pratiques secrètes, d’enchantements et de désenchantements, de la mauvaise fortune et de la baraka. La forêt est un théâtre d’ombres.

Et dans les contes de fées se dessinent des objets-fétiches, des indices. Ce sont alors le miroir (d’une reine cruelle), une pomme rouge empoisonnée, les couteaux aiguisés (des ogres), le coutelas (de la Barbe-Bleue), les baguettes (des fées), les trois robes merveilleuses (de Peau d’âne), les bottes seigneuriales (du Chat botté) et les bottes des sept lieues (des ogres), la pantoufle de verre (de Cendrillon), les couronnes (des sept petites ogresses) et les bonnets (des sept garçons du bûcheron), le trousseau de clefs (de la Barbe-Bleue), la chevillette et la bobinette (de la mère-grand du Petit Chaperon rouge), la quenouille (de la Belle au bois dormant), les gâteaux et les bagues (de Peau d’âne), la petite échelle du ramoneur (de Jacques Prévert), la montre du lapin blanc toujours pressé (de Lewis Carroll), le four (de la sorcière de Hänsel et Gretel), les lampes allumées d’une cabane solitaire.

Gilbert Lascault

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