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Émotion et maîtrise

Article publié dans le n°1008 (01 févr. 2010) de Quinzaines

La discrétion aimable et la hauteur de ton : deux qualités qui frappent chez le poète Claude Adelen.
La discrétion aimable et la hauteur de ton : deux qualités qui frappent chez le poète Claude Adelen.

Il avait 25 ans quand ses premiers poèmes ont été remarqués par Elsa Triolet et publiés dans Les Lettres françaises. C’était en 1969. Claude Adelen a donc commencé tôt. On a pourtant le sentiment de le redécouvrir grâce à l’anthologie qui paraît aujourd’hui et qui permet de lire dans la continuité une part importante des 8 volumes de poésie sortis en 40 ans.

Au travail poétique il convient d’ajouter l’activité critique, pratiquée, elle, depuis une quinzaine d’années, dans Action poétique, La Quinzaine littéraire, La NRF…, en partie rassemblée sous le beau titre de L’Émotion concrète (1) : « Je veux dire par là que l’émotion en poésie n’est pas qu’affaire de sentiments, d’épanchement mais aussi affaire d’intelligence de la forme.  »Bien mieux que des articles, ce sont des textes inspirés qui œuvrent à faire connaître « cette langue étrangère qu’est la poésie » et à en retrouver la familiarité perdue. Savoir lire les autres, ceux du passé, ceux d’aujourd’hui : un talent qui se perd.

En bref Claude Adelen pratique avec talent deux tâches apparemment contradictoires : s’immerger dans son œuvre, s’enfoncer dans le puits de son intimité ; sortir de soi et apprécier ce qui se passe ailleurs. Une posture inconfortable et pourtant l’œuvre est là, construite autour de la douleur, à partir d’elle, comme si Claude Adelen voulait lui faire barrage tout en s’y appuyant ; comme si également l’édifice poétique obtenu n’avait pas d’autre fin que d’être démoli, ou enfoui, ou nié.

« Travaille, c’est-à-dire détruis », une formule qu’on peut entendre aussi dans un sens positif : écrire, c’est élaguer. Ce poète lyrique, qui revendique l’émotion concrète et non l’apitoiement du sentimentalisme, travaille beaucoup sa forme. Pour lui, le vers n’existe pas sans elle, qui seule favorise la musique.

Après les deux premiers ensembles, Poèmes de la Maison du Garde, publiés dans Les Lettres françaises et Bouche à la terre, né d’un drame personnel, le poète assume et pratique, avec Légendaire, le formalisme ambiant, « composé sous le signe du nombre 11, soit 11 suites de 11 strophes de 11 vers assemblés par couples (5 et 6) », ce qui ne donne rien de sec :

Délire lenteur, folie, hors silence hors
syllabes, beauté
vraie du monde à ma face
noyée de nuit, boue d’étoiles !

Le recueil suivant, Intempéries, publié par Gérard Noiret dans la collection qu’il dirigeait chez Ipomée, progresse vers la narration, en particulier avec les deux séries inspirées par l’Histoire d’Adèle H. et la Chambre verte, films de Truffaut.

Les poèmes où paraît Adèle H. sont d’une noire beauté :

passe           la chevelure dénouée
la grande chevelure libre
                    enfin et le visage
blême dans l’implacable
soleil         visage
                        enfin
                               apaisé

La série de poèmes en alexandrins contrariés par des blancs intérieurs (« comme alors s’épaissit de poèmes le temps ») poursuit de son côté une histoire de rupture avec le monde et soi afin que

ah qu’il n’entende
Plus l’histrion le fou cette histoire emplie
De bruit et de fureur et qui ne veut rien dire.

Le Nom propre de l’amour entreprend, dans « Le masque brisé » la remémoration et le recouvrement d’« une grave crise sentimentale et existentielle », selon les propres mots de l’auteur, au moyen du décasyllabe et sous le masque d’Aurélien (personnage bien connu d’Aragon) rêvant à l’inconnue trouvée morte dans la Seine : 

Nous ne dormirons pas ensemble     comme
Morts    le matin ne nous trouvera pas
Deux corps dans le lit défait        un carnage
De neige

Les trois derniers ensembles, Aller où rien ne parle, Soleil en mémoire, D’où pas même la voix, pratiquent la citation, comme les précédents, une manière pour le poète d’exprimer à la fois admiration et parenté ; d’assumer à nouveau l’expression personnelle, le lyrisme du « je » ; de travailler musicalement à l’unité formelle du vers ; enfin de recourir à la dualité vocale dans des pages qui proposent deux poèmes en écho dont l’un figure en italique.

Les inédits finaux surprennent, par le mélange de réalisme dur et de science poétique :

Fruits à goût de cendre
la haie aux églantine, la blanche
à nom d’aïeule aveugle (« gratte-cul »)

Achevons cette lecture, trop rapide, par l’extrait d’un poème titré « Art poétique » :

(…) Avons-nous échangé des colombes
Des baisers des bouquets des présents de
    neige       un
Peu du temps stérile de nos vies ? devenus
Un passage de vent dans le feuillage      à voix
Basse nous parlerons de l’amour sous les
    arbres

1. L’Émotion concrète, Chroniques de poésie, éd. Compact, 2004.

Marie Etienne

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