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Jacques Villon, né Gaston Duchamp

Jacques Villon à Angers. Le nom du frère aîné des Duchamp (1875-1963) est moins célèbre que celui de son cadet, Marcel Duchamp (1887-1966). Les sept enfants Duchamp, dont quatre artistes, sont nés d’un notaire normand. Pourquoi à Angers une des rares expositions de Villon ? La ville est ouverte à la culture. Un éditeur de mérite a eu l’initiative d’un livre qui serait accompagné d’une rétrospective de Villon. La municipalité, le musée ont soutenu le projet. C’est une double réussite.

GERMAIN VIATTE
JACQUES VILLON, NÉ GASTON DUCHAMP
(1875-1963)
Éd. Expressions contemporaines , 240 p., 39 €

Exposition au musée des Beaux-Arts d’Angers
14, rue du Musée, 49100 Angers
5 novembre 2011 – 1er avril 2012

Jacques Villon à Angers. Le nom du frère aîné des Duchamp (1875-1963) est moins célèbre que celui de son cadet, Marcel Duchamp (1887-1966). Les sept enfants Duchamp, dont quatre artistes, sont nés d’un notaire normand. Pourquoi à Angers une des rares expositions de Villon ? La ville est ouverte à la culture. Un éditeur de mérite a eu l’initiative d’un livre qui serait accompagné d’une rétrospective de Villon. La municipalité, le musée ont soutenu le projet. C’est une double réussite.

Jacques Villon fut un graveur hors pair. Il avouait préférer la gravure à la peinture. Mais cette pratique retentit sur tout son œuvre. Germain Viatte, à qui doivent beaucoup l’exposition et l’ouvrage publié simultanément, note à propos du penchant de Villon pour la représentation du mouvement : « Il partage sans éclat et avec beaucoup d’intérêt cet élan collectif. La technique du graveur qui permet d’étudier, sur chaque état, tel élément séparé prédispose à l’analyse séquentielle du réel. » Comme toujours chez Villon, la pratique singulière l’emporte sur les théories – ici ce sera le futurisme. La revue qu’il a fondée, La Section d’or, n’aura qu’un seul numéro et les rapports des mathématiques, de l’architecture du tableau, du chromatisme, ne seront pas esclaves dans ses œuvres d’un dogme.

Certes, il n’a pas la désinvolture de Marcel Duchamp qui, en cadeau de mariage à leur sœur, envoie de Buenos Aires un précis de géométrie qu’elle devait accrocher à son balcon et laisser livré aux intempéries. L’Histoire de l’art en a retenu le nom : Ready-made malheureux. Duchamp l’a commenté : « C’était amusant comme idée… » Marcel Duchamp est co-fondateur de la « Société anonyme », qui réunit une collection (aujourd’hui en partie à Yale, je crois), une collection qui réunit 600 œuvres de 170 artistes modernes, appartenant à 23 pays. Pour le catalogue, Duchamp rédige quelques notices : Arp, Braque, Calder, Chirico, Ernst, Gleizes, Gris, Kandinsky, Klee… Matisse, Miró, Picabia, Picasso, Man Ray et, en dernier lieu suivant l’ordre alphabétique : « Jacques Villon Peintre-Graveur ».

Duchamp rappelle les étapes de la carrière de son frère : « Il se fit d’abord connaître vers 1900 par ses caricatures, mais sa réelle vocation était la gravure et la peinture à l’huile (…), il fut certes l’un des premiers à faire partie du mouvement cubiste, mais ne perdit jamais ses qualités de lyrisme et resta fidèle à lui-même, même pendant sa période cubiste la plus rigoureuse. Après être passé par les diverses expériences de sa longue carrière, Villon a maintenant atteint une manière incisive où les rapports chromatiques sont soutenus par un dessin architectural ; affirmation, conclusion, qui mettent encore en joie ceux qui ont assisté à son développement ininterrompu et à ses importantes réalisations » (texte écrit en anglais, traduit ici par l’éditeur).

Des glossateurs ont senti de l’ironie dans les propos de Duchamp. Germain Viatte, lui, se rappelle une visite à l’atelier de Neuilly où Duchamp avait des mots amènes à l’égard de Jacques Villon. Dans ce même atelier je vois une photo de Duchamp parmi des répliques de ses ready-made ; sur le siège un numéro de La Quinzaine littéraire. Celui portant en couverture Sartre répond.

Rien de commun entre Portrait de l’artiste de 1942 et la première « Esquisse pour étant donnés le gaz d’éclairage et la chute d’eau » faite par Duchamp en 1944 à New York. Ce dessin, 22 ans plus tard, deviendra la figure centrale de la composition fameuse sous le même nom.

Chez les deux frères un même goût de la liberté. Duchamp est fidèle à lui-même, Villon aussi. Dans les années 40-50, y compris dans Autoportrait de 1949, le choix des couleurs (rose, mauve, vert, bleu), leurs rencontres, leurs libertés furent accusés d’être des rapports de mauvais goût. Cubiste, son cubisme lui est propre. Il peint sans entraves. C’est peut-être par là qu’il communique aux regardeurs ce que Duchamp appelle « la joie ».

Les deux frères, et des familiers, se réunissaient, rebâtissaient le monde le dimanche à Puteaux. L’atelier a été balayé, écrasé par l’esplanade de la Défense sur laquelle, ironie du retour, s’élèvent aujourd’hui les monuments de Miró et de Calder.

En 1913, Villon peint Soldats en marche. Le penchant pour la représentation du mouvement est commun aux deux frères. En 1911, Duchamp peint un moulin à café où le mouvement tournant de la manivelle est décomposé en ses moments, soulignés par une flèche. En 1937, de Villon Conquête de l’air, une rencontre de plans et de couleurs. En 1912, un aéroplane de Duchamp, linéaire. Cette même année, Nu descendant un escalier. Le tableau est présenté en 1913 à New York à l’Armory Show (Exhibition of Modern Art). Il est présenté aux Indépendants. Les cubistes « orthodoxes » n’en admettent pas la manière. Ils le refusent. Cet incident serait la cause du divorce de Duchamp avec les esthétiques à codes définis. Le Nu exposé alors à Barcelone retiendra pour longtemps l’attention et la main de Miró qui sera l’ami de toujours de Duchamp dont il appréciait les jeux, en particulier les jeux de mots.

Villon, quant à lui, eut tous ses tableaux (neuf) acquis à l’Armory Show. À Angers on observera qu’outre les œuvres passées par la Galerie Carré, les collections américaines sont à l’origine des prêts importants. Après la guerre, c’est aux États-Unis que sont organisées les expositions. À Paris la première exposition Carré chaleureusement accueillie était présentée par René Char.

En 1951, le musée national d’Art moderne, réunit 85 peintures de Villon. En 1956, il reçoit le grand prix de peinture de la Biennale de Venise. Ce prix, en 1964, reviendra à Rauschenberg. New York prenait la place de Paris : « Il n’est plus question de l’École de Paris » pouvait-on écrire. Les mouvements se succèdent, s’affrontent, appuyés plus ou moins clairement sur les idéologies ou les théories.

Villon est l’objet d’honneurs officiels. Mais sa singularité, sa liberté, ne lui sont pas même reprochées. Elles font tout simplement oublier son art. C’est l’Histoire – telle qu’elle s’écrit dans l’après-guerre – qui est la cause de cette cécité plus que l’ombre que lui aurait portée son frère. L’exposition d’Angers arrive à son juste moment.

Georges Raillard

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