Livre du même auteur

Le voyage intérieur

L’auteur a emprunté les mots du titre à un poème de Jules Supervielle cité en épigraphe. Chez Philippe Leuckx comme chez Supervielle, l’homme paraît un « forçat innocent » dont le « cœur » conduira tout le livre.
Philippe Leuckx
Ce long sillage du cœur
L’auteur a emprunté les mots du titre à un poème de Jules Supervielle cité en épigraphe. Chez Philippe Leuckx comme chez Supervielle, l’homme paraît un « forçat innocent » dont le « cœur » conduira tout le livre.

Ce que souligne le poète, c’est l’inadéquation entre ce que l’on perçoit et ce que l’on ressent ; le paysage n’est pas nécessairement le reflet de l’âme : 

Il fait beau
Et le cœur plein d’épingles
Au-dehors
D’imbéciles oiseaux
Et ma main
Qui tremble 

Voilà affirmée la dissonance, la position peut-être d’un narrateur qui, hors des frontières attendues, a le goût « [d]es choses désordonnées ». Que les poèmes s’offrent en vers ou en prose, nous suivrons le fil d’une mémoire qui fait surgir les détails d’un passé qui affleure. Le paysage extérieur, qu’il soit de Grèce, d’Italie ou de Belgique, devient complice de la remémoration : « Pleutre mémoire si elle ne prélève au loin ces pépites, ces pépiements d’âmes entre les arbres, l’été. »

Supervielle, lui, qualifiait la mémoire d’« oublieuse ». Le paysage parcouru délivre des mots qui s’incarnent à son contact : « Ces petits leurres du lexique qui nous viennent sous la langue, un peu amochés par l’usage. » Le nom même du poète, Leuckx, ne mêle-t-il pas « leurre » et « lexique » ?

À Treherbert, ville minière du pays de Galles qu’on traverse, c’est Havay, la ville minière natale du Hainaut, qui réapparaît. L’enfance rappelle ses couleurs dans la « longue mélancolie en mode mineur » encore une fois suscitée. Mais la ville « ne dit rien du chagrin ».

On peut aussi « nouer les yeux au ciel » en quête de bleu, d’étoiles ou de poèmes. 

Il manque le bleu des profondes nuits encavées au cœur
La surprise d’un simple poème cousu de silences
Le vœu d’une parole pour qui ne peut l’entendre 

Les poèmes sont le réceptacle de souvenirs pèlerins et de la « langue douce de l’errance », de l’expérience d’une liberté à travers ce « lent pays » et ces étés vagabonds.

Dans cette enfance, « [o]n allait. Loin. » Mais c’était « [e]n soi ». Si bien que « [c]haque poème rend pèlerin de soi ». On entend, dans Ce long sillage du cœur, les répercussions infinies des fleurs, de leurs senteurs et de l’été comme saison d’un possible à renouer avec les gestes de consolation de la mère. 

Mère, j’ai quelques poèmes sur le feu et
Un peu de tristesse qui flambe
Au bois sec de mes membres
Suffit-il parfois de flairer quelque songe
De vie sous la terre bien noire ?

Ainsi, le « cœur » s’accorde au poème dont il fait son habitacle, et le livre devient le refuge onirique choisi pour lui par le poète, « cet impénitent voyageur des pays intérieurs », qui invite ses lecteurs à devenir eux aussi « pèlerins de l’essentiel ».

Isabelle Lévesque