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À l’intérieur de la Halle Saint-Pierre, une soixantaine de créateurs différents inventent des grouillements d’hybrides (à deux dimensions ou à trois dimensions).

EXPOSITION

HEY MODERN ART & POP CULTURE/

PART II

La Halle Saint-Pierre

2, rue Ronsard, 75018 Paris

25 janvier - 23 août 2013

 

Catalogue sous la direction d'Anne et Julien

Éd. Ankama/Label 619, 300 p., 44,90 €

À l’intérieur de la Halle Saint-Pierre, une soixantaine de créateurs différents inventent des grouillements d’hybrides (à deux dimensions ou à trois dimensions).

Une soixantaine de peintres et de sculpteurs lancent (dans la Halle Saint-Pierre) des hordes de formes monstrueuses et imprévues, des légions d’êtres hétéroclites, des foules de vivants bizarres, des cohues d’animaux extravagants, des kyrielles insolites (1).

« HEY! HEY! HEY! » Dans la Halle, les mêmes cris s’égosillent, avertissent ; chacun s’adresse aux autres : « Hé ! bonjour ! » Alors, « HEY! », c’est le titre d’une revue d’engagements artistiques. Cette revue HEY! est rebelle, ironique, indépendante. Cette revue se moque des conventions, du conformisme, des banalités, des platitudes. La revue HEY! est souvent proche du « mauvais genre » ; elle choisit des passions esthétiques, des goûts inattendus, des allures ambiguës et allègres. Le territoire que la revue HEY! explore serait peut-être « le cabinet des curiosités du XXIe siècle », « le musée des étrangetés d’aujourd’hui ».

Anne et Julien sont les créateurs de la revue d’art HEY! Tous deux « travaillent en binôme ». Ils sont auteurs, journalistes, réalisateurs de documentaires pour la télévision ; ils sont des « DJ » ; ils sont souvent des commissaires d’exposition. Depuis 1986, ils vivent et inventent à l’intérieur des milieux de la musique et de l’image. Ils connaissent des courants artistiques ; ils les analysent. Sur les musiques et les bandes dessinées, ils écrivent et étudient. Depuis 2008, ils reviennent au spectacle et ont fondé une troupe musicale… Ils affirment avec violence : « Nous sommes des chasseurs de trésors. Nous savons que notre butin ne fera pas l’unanimité. Nous ne rejetons pas le classique ; nous ne dénigrons pas le reconnu ; nous ne prohibons pas l’inconnu. Nous sommes des passeurs. » La revue HEY! est du côté de l’émerveillement, du côté de l’inespéré, du côté de la surprise. Elle ne sépare pas l’art savant et l’art populaire. La « pop culture » possède des techniques propres, des pratiques, un savoir-faire, une ingéniosité, une vigueur, une vivacité. Sans cesse, les artistes de la revue HEY! sont des activistes, des provocateurs, des agitateurs, des excitateurs ; ils produisent des imaginaires improbables, des chimères, des formes excentriques.

Dans la Halle Saint-Pierre, des tatouages divers apparaissent. Herbert Hoffmann (1919-2010) est tatoueur et photographe en Allemagne. Il a photographié des centaines de tatoués (hommes et femmes) ; il les connaît ; il accompagne chaque portrait d’un texte. Un homme et une femme sont mariés ; ils sont tatoués vers 1900 ; jusqu’aux années 1930, avec d’autres gens du spectacle, ils font le tour du monde et jouent le rôle du couple tatoué. Et l’arrivée du nazisme supprime les représentations. Après la guerre, le couple est pauvre. Le mari, Oskar le bleu, souhaite alors avoir quelques tatouages en couleur. Et il n’a pas été facile de trouver un espace libre sur son corps bleu : sur ses lobes d’oreille, sur ses parties génitales… Tel autre tatoué a un corps entièrement couvert de tatouages bleus ; puis, il fait remplir les espaces d’encre noire et met en valeur les grands dessins… Les tatouages comprennent des papillons gigantesques, des écailles, des arabesques, des bracelets, des bagues, des squelettes, des femmes nues, des végétaux, un château, un coq, des signes… Ou bien, un céramiste hollandais (Gérard Burn) utilise la tradition du « Bleu de Delft » ; il crée des œuvres en hommage aux héros du tatouage contemporain pour le Amsterdam Tattoo Museum… Ou aussi, un artiste mexicain (né en 1976) représente un corps formé par un cuir beige et il le tatoue ; tu lis les noms et les signes des gangs féroces du Salvador ; tu perçois la peau tatouée d’un criminel écorché…

Assez souvent, les crânes humains, les squelettes, les danses macabres, des scènes de l’Apocalypse, des revenants, des livres d’anatomie, des poupées sanglantes donnent à voir la Mort voluptueuse, sensuelle. Par exemple, Jim Skull (né en 1959 en Nouvelle-Calédonie) dresse sept crânes, constitués de papier mâché (avec des tissus anciens, avec des fils d’or et d’argent, des cordes, des sachets de thé, le corail, l’ambre, les poils de chèvre, etc.).

Ou encore, un dessinateur bruxellois (vers 1970) représente des femmes maquillées, indifférentes, enchaînées, flagellées… Ou bien, un peintre japonais (né en 1936), anticlérical, montre les amours des évêques et des geishas… Félicien Rops (1833-1898) évoque la jouissance d’une femme caressée par les tentacules d’une pieuvre excitée.

Dans la Halle Saint-Pierre, les artistes proposent des scènes inquiétantes… Un chat charmant à deux têtes (en céramique) est à la fois grotesque et cruel… Des êtres voraces sont transformés par les médicaments des trusts pharmaceutiques (2011)… H. R. Giger (suisse, né en 1940) sculpte des formes où se tissent le vivant et la mécanique : des sortes de sphinx de notre modernité ; il retrouve les légendes équivoques de Lovecraft… Kate Clark (née à New York en 1972) sculpte des têtes cornues où se mêlent l’humain et l’animal ; « Je rase (dit-elle) la fourrure d’une antilope ; et le spectateur peut reconnaître les caractéristiques de notre propre peau »… Paul Toupet (né à Paris en 1979) emploie le papier mâché, les résines, les tissus, la cire, il crée un lapin avec des ailes d’oiseau de proie, ou bien une sorcière à deux têtes… Un groupe d’artistes (né vers 1998 en Belgique) s’appelle Hell’O Monsters ; il propose un salut amical et infernal ; il est du côté de l’humour noir…

Au rez-de-chaussée de la Halle Saint-Pierre, le sculpteur français Gilbert Peyre (né en 1947) crée un étrange chamane qui a un crâne de daim, un manteau de fourrure et des sabots de cheval. L’œuvre s’intitule : J’ai froid. Le chamane tremble ; il marche lentement ; il gémit. Gilbert Peyre choisit, à la fois, l’art de la récupération et l’électronique. Ce serait, peut-être, une divinité sibérienne dans une forêt glacée. Peyre utilise les moteurs, les engrenages, les transistors.

  1. Martine Lusardy est la fondatrice du projet culturel de la Halle Saint-Pierre et la commissaire des expositions depuis 1995.
Gilbert Lascault

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