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À Florence, de 1850 à 1874, des peintres toscans et d’autres (vénitiens, livournais, napolitains) se sont rencontrés. Les critiques les appellent les "Macchiaioli" tantôt avec mépris, tantôt avec admiration.

EXPOSITION

LES MACCHIAIOLI (1850-1874)

(Des impressionnistes italiens ?)

Musée de l'Orangerie

10 avril - 22 juillet 2013

Livre-catalogue de l'exposition

sous la direction de Marie-Paule Vial

Musée d'Orsay/Skira Flammarion, 242 p., 134 ill. coul., 35 €

 

BEATRICE AVANZI et MARIE-PAULE VIAL

LES MACCHIAIOLI

Des impressionnistes en Toscane

Gallimard, Hors-Série Découvertes/Musée de l'Orangerie, 36 p., 8,90 €

À Florence, de 1850 à 1874, des peintres toscans et d’autres (vénitiens, livournais, napolitains) se sont rencontrés. Les critiques les appellent les "Macchiaioli" tantôt avec mépris, tantôt avec admiration.

Les Macchiaioli seraient donc les fanatiques des taches, des touches vives, du clair-obscur, des éclaboussures picturales, des macules, des mouchetures, d’une tacheture, des marques rapides. Aujourd’hui, il ne s’agit absolument pas de « tachistes ». Les Macchiaioli, peintres hardis et novateurs du XIXe siècle, se situent très loin des artistes abstraits du tachisme du xxe siècle. Les Macchiaioli, toujours figuratifs, amoureux de la nature et des formes, pourraient, peut-être s’appeler (en français) des inventeurs de macules et de touches. Ils posent des couleurs par des coups de pinceau. Chaque touche serait un trait du pinceau libre.

Adriano Cecioni (1836-1886) a été, à la fois, un membre important du groupe, un peintre sensible de l’intimité, le théoricien lucide de la macchia. Selon lui, « l’art doit être une surprise faite à la nature dans ses moments normaux et anormaux, dans ses effets plus ou moins étranges ».

Les Macchiaioli apparaissent à Florence comme des créateurs rebelles, indépendants, turbulents, agités ; et certains mourront pauvres. Ils choisissent le « contre », l’avant-garde. Ils refusent l’Academia Fiorentina di Belli Arti qu’ils considèrent comme « la caserne des invalides », « la pépinière de la médiocrité », « le cimetière de l’art ». Agressifs, ils se réunissent au Caffè Michelangiolo sur la via Larga (l’actuelle via Cavour) ; ils mangent peu et mal ; ils boivent le punch ; ils se disputent sur l’art, sur la politique, sur la subversion, sur le Risorgimento. Bien de ces artistes ont été engagés volontaires (artilleurs, bersagliers) et parfois blessés. Ils admirent Garibaldi et le révolutionnaire ironique Giuseppe Mazzini (1808-1872) qui conspire sans cesse, recherché par les polices de la moitié de l’Europe… De 1848 à 1866, le Caffè Michelangiolo multiplie les divergences, les conflits, les interrogations perpétuelles. Tel peintre lit sérieusement les textes de Proudhon ; d’autres se moquent de lui. Ils aiment les œuvres des paysagistes de Barbizon, celles de Courbet, de Millet, de Manet, de Degas, de Decamps. Ils détestent Meissonier…

Les Macchiaioli méprisent parfois le passé, ou bien ils veulent lier le classicisme et la modernité. Adriano Cecioni est souvent polémiste : « Le peintre moderne ne doit avoir ni amours ni sympathies pour le passé. Le divorce entre le moderne et l’antique doit être total, absolu, et l’ignorance de l’Histoire doit l’être tout autant. » À d’autres moments, les Macchiaioli se sentent proches de Giotto, des prédelles du Trecento et du Quattrocento. Silvestro Lega (1826-1895) choisit des scènes sereines de vie familiale (La Pergola, Les Fiancés, La Visite) ; il se souvient des espaces géométriques de Piero della Francesca, Filippino Lippi, Fra Angelico, de leurs narrations lumineuses ; Lega invente des prédelles laïques et poétiques. Lega veut unir les touches sourdes et les compositions géométriques. Dans un tel climat culturel, le musicien Giuseppe Verdi note en 1871 : « Revenez à l’ancien et ce sera un progrès »… Généreux, trahi par la vie, accablé par les deuils et les maladies, Lega suggère, parfois, la douce tendresse de ceux qui s’aiment.

Assez souvent, les Macchiaioli choisissent des tableaux allongés. Parfois, ils peignent sur des tablettes de bois, taillées par des artisans locaux, ou bien sur des couvercles de boîtes de cigare en acajou. Les couleurs sont alors appliquées sur le support sans préparation et cette technique laisse apparaître les veines du bois.

Comme les impressionnistes français, les Macchiaioli aiment peindre en plein air. Ils représentent des églises florentines, des rues ensoleillées, une route, une rotonde près d’un fleuve, des cloîtres, une charrette rouge et deux bœufs blancs (à Castiglioncello), des porteuses de fagots, une scène de halage, la « porte rouge » d’une ferme, des jardins… Souvent, ces peintres sont fascinés par le mur blanc (« il muro bianco »). Avec émotion, Cecioni se souvient des blancs perçus : « Regarde, Banti, la beauté de ce blanc à l’arrière-plan. […] Regarde, Signorini, le ton des roues sur le blanc de la route ! […] Il leur suffisait de voir du linge mis à sécher pour que le blanc des tissus sur un arrière-plan gris ou vert les rende frénétiques. » Et Giovanni Fattori (1825-1908) représente La Sentinelle (1871) ; le militaire impassible, à cheval, se dresse, immobile, près du vaste mur de couleur sable ; et l’ombre de la sentinelle se dessine sur le mur.

Dans d’autres tableaux des Macchiaioli, ils offrent des lieux intérieurs, des chambres souvent sombres ; ils y proposent des rideaux, des tapis, des planchers, des nappes, des dentelles, les papiers peints. Des femmes lisent, écrivent une lettre ; elles brodent ; elles attendent. Deux fillettes portent les chapeaux et les robes de leur mère et elles s’approchent d’elle en une sorte de comédie. Et aussi, Odoardo Borrani (1833-1905) décrit des femmes qui, dans un salon, cousent des chemises rouges destinées à des partisans de Garibaldi ; et une patriote minutieuse coud le drapeau italien, symbole de la nation qui se libère…

Quelques tableaux effraient. Telemaco Signorini (1835-1901) expose en 1865 La Salle des agitées au Bonifacio de Florence, que Degas admire ; la toile montre la folie enfermée. En 1894, il peint La Prison de Portoferraio ; une trentaine de prisonniers blêmes, enchaînés, se tiennent debout, respectueux, quand le directeur, le sous-directeur et les gardiens les observent.

Dans d’autres œuvres, les Macchiaioli apparaissent des engagés de la libération italienne, du Risorgimento, des combattants volontaires. Ils perçoivent les espoirs et les angoisses de la guerre. Se découvrent les blessés, les morts, les prisonniers autrichiens, la fatigue des héros épuisés. Giovanni Fattori peint le Soldat démonté (1880). Dans un terrain désertique, le cheval noir, affolé, galope vers un horizon sinistre sur un sol ensanglanté ; le cavalier désarçonné est probablement mort. S’expriment les espérances et les déceptions, la grandeur et la servitude des militaires…

Les tableaux des Macchiaioli ont fasciné des cinéastes italiens : Luchino Visconti, Mauro Bolognini. Dans Senso (1954), dans Le Guépard (1963), Visconti « prolonge » les batailles et les intérieurs de Macchiaioli ; il leur rend un hommage affectueux. 

Gilbert Lascault

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