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Pistoletto, la Vénus aux chiffons et le "troisième paradis sur terre"

Michelangelo Pistoletto (né en 1933 à Biella) est un grand créateur italien, « artiste-activiste » ; il est inventif, fécond, généreux, utopiste. En 1960, il est l’un des fondateurs de l’Arte povera.

EXPOSITION

MICHELANGELO PISTOLETTO : ANNÉE 1, LE PARADIS SUR TERRE

Musée du Louvre

25 avril - 2 septembre 2013

Livre-catalogue de l'exposition

Sous la direction de Henri Loyrette, Bernard Blistène et Marie-Laure Bernadac

Louvre éditions/Actes Sud, 182 p., 200 ill., DVD-Rom, 39 €

MICHELANGELO PISTOLETTO

OMNITHÉISME ET DÉMOCRATIE

trad. de l'italien par Mathieu Bameule

Actes Sud, 60 p., 8 €

Michelangelo Pistoletto (né en 1933 à Biella) est un grand créateur italien, « artiste-activiste » ; il est inventif, fécond, généreux, utopiste. En 1960, il est l’un des fondateurs de l’Arte povera.

Pistoletto multiplie, sans cesse, des objets im­prévus, des Tableaux-miroirs, des Manifestes provocateurs, des formes mouvantes, des sigles et des symboles, des spectacles, des cortèges, des fêtes.

Aujourd’hui, Pistoletto est un grand visiteur du Louvre, un témoin des cultures rassemblées, des mythes disséminés, des formes disparates et aguicheuses, des récits et des légendes suggérés. En 1963 (et par la suite), il a examiné les départements spécifiques du Louvre en un « émerveillement continu ». Le Louvre apparaît comme un miroir de l’Histoire qui évoque les guerres, les réconciliations, les amours, les corps qui jouissent et souffrent, les choses de la vie quotidienne, la splendeur des paysages… Les Tableaux-miroirs de Pistoletto proposent (dans des salles du musée) la rencontre des tableaux anciens et des visiteurs qui s’approchent et s’éloignent en des jeux du passé, du présent, du futur, en des jeux de plaisirs variés et en une pédagogie joyeuse.

Aujourd’hui, Pistoletto disperse un vingtaine de ses œuvres (monumentales ou discrètes) dans diverses salles et galeries du musée. Elles guident les visiteurs ; elles orientent et elles déroutent ; elles étonnent. Pistoletto organise un dialogue de ses œuvres contemporaines avec celles des siècles passés. Il transforme les parcours des visiteurs ; il métamorphose avec délicatesse le musée (en décrochant quelques tableaux).

Dans la galerie Daru, la Vénus aux chiffons (1967) se dresse à côté de grandes effigies anti­ques. La déesse néoclassique tourne le dos au spectateur ; elle révèle sa surface lisse et immaculée, ses courbes douces et ondulantes ; elle signifie la féminité glorieuse, la beauté triomphante, le désir, la nudité. Et les chiffons très colorés, usés, forment un amas chatoyant, une montagne de tissus, un monument de déchets admirables. Pistoletto célèbre alors la quotidienneté, l’éphémère, le banal qui rayonne.

Dans la cour Marly, sous la grande pyramide, Pistoletto érige un immense obélisque (en miroirs) que surmontent les trois boucles en tissus colorés et tortillés. Cette œuvre s’intitule Obélisque et Troisième paradis (1976-2011) : Obelisco e Terzo paradiso. L’obélisque signifie simultanément un hommage à l’Égypte ancienne, la solidité, le masculin, l’affirmation. Les trois boucles forment à la fois le creux, la féminité, la fécondité, mais aussi un dépassement du signe ∞ de l’infini. Les trois boucles se situent au-delà de l’infini et indiquent une éternité immanente. Pistoletto suggère l’accouplement, l’union du féminin et du mâle, une fusion pour une renaissance, pour un renouvellement…

Ces trois boucles désigneraient une régénération du cosmos, l’espoir d’un troisième jardin, la chance d’un troisième paradis. Et les humains du XXIe siècle seraient, peut-être, des jardiniers d’une terre heureuse et sans gâchis, sans dégâts, sans pillages, sans dilapidations. Ces jardiniers seraient plus libres, plus responsables, plus soigneux, vigilants. Selon Pistoletto, le premier paradis serait du côté de l’inconscient quand l’humanité est totalement intégrée à la Nature. Dans le deuxième paradis, les humains s’éloigneraient de la Nature ; ils développeraient un monde artificiel et des conséquences désastreuses pour la planète. Le troisième paradis voudrait réconcilier le naturel et l’artificiel, la science, la technique, l’art ; il se détacherait du politique, du religieux, des consommations excessives. Optimiste, Pistoletto considère que les musées jouent d’abord un rôle éducatif ; ils deviendraient des cathédrales de la pensée et de la culture ; par l’art, la société serait, autant que possible, moins agressive, plus généreuse. Le troisième paradis serait, par l’art, une utopie réalisée et laïque. Pistoletto serait peut-être proche des saint-simoniens.

À l’entresol, dans les Fossés, à l’aile Sully, dans le Louvre médiéval, Pistoletto crée le Love Difference (2010). Des néons inscrivent des mots traduits en des langues variées. Nous devrions « aimer les différences », choisir la sympathie des altérités, éviter la tension des conflits, créer des relations culturelles entre des pays voisins et parfois hostiles… En 2003-2005, Pistoletto constitue une grande table (en miroir) où se représentent la Méditerranée et les pays côtiers ; autour de la table, se trouveraient vingt-trois sièges différents des pays méditerranéens ; il y aurait des accords, des réconciliations. Ou bien dans le Salon carré, un Tableau-miroir s’intitule la Conversation sacrée (Anselmo, Zorio, Penone) (1962-1974). Ce serait la rencontre de trois créateurs de l’Arte povera ; ils seraient les trois saints de la création contemporaine à la manière des peintres de la Renaissance, qui représentaient la Sacra Conver­sazione.

Ou encore, dans la salle de la Maquette, se trouve un cube énigmatique : le Metrocubo d’Infinito (1966). Ce volume gris, apparemment neutre, est constitué par six panneaux ficelés ; chaque côté fait cent vingt centimètres. Ces six panneaux sont des miroirs qui se réfléchissent à l’intérieur du cube. Les six miroirs sont dissimulés. Tu imagines le secret, l’Infini qui est une interrogation obs­cure…

Dans sa biographie, Michelangelo Pistoletto aime souvent travailler en groupe. Il collabore avec des comédiens, des chanteurs, des musiciens, des cinéastes, des philosophes, des architectes. En 1963, il rencontre Allan Kaprow et John Cage. Lui-même cherche souvent le happening perpétuel. Avec des miroirs, il choisit le happening qui inclut des spectateurs. En 1968, à Rome, à la Galleria L’Attico, il propose « un dispositif » qui mêle plusieurs espaces et diverses temporalités. Il y avait, dans la pièce principale, des chaises, des éléments de scénographie (empruntés aux studios de Cinecittà) : des rochers, des colonnes, des costumes hétéroclites, des chapeaux farfelus, des masques (venus de Fellini). Alors, une lumière aveuglante place les spectateurs comme sur une scène. Dix films y sont produits et projetés en public… De 1968 à 1971, le Zoo se développe et il est lié à la contestation sociale.

En 1981, Pistoletto veut inventer un « théâtre sans théâtre », une « danse sans danse ». Dans cet étrange spectacle, Anno Uno, avec les habitants de Corniglia (en Ligurie), Pistoletto apparaît à Rome, sur la scène du théâtre Quirino. Selon Bernard Blistène (directeur du département du développement culturel, Centre Pompidou), la réflexion théâtrale de Pistoletto reprend les phrases de Shakes­peare (Comme il vous plaira, vers 1 599, acte II, scène 7) : « Le monde entier est un théâtre, / et tous les hommes et les femmes seulement des acteurs ; / Ils ont leurs entrées et leurs sorties, / Et un homme dans le cours de sa vie joue différents rôles… » Pour Anno Uno (1981), les acteurs deviennent des caryatides qui portent des structures architecturales et racontent…

Et, dans les années 1990, Pistoletto imagine une institution pédagogique, un laboratoire de critique et de pensée libre : la Cittadellarte à Biella, une petite ville active au pied des Alpes piémontaises. Cette « citadelle de l’art » rassemble chaque année des artistes, des architectes, des jeunes stylistes (pour la mode), des entrepreneurs sociaux, des gestionnaires culturels, des écrivains, des économistes, des agronomes, des ingénieurs, des cultivateurs, des industriels… Pistoletto veut créer des « canaux de communication », relier des « pôles opposés », des échanges. Contre le conservatisme, le changement serait une question de survie. Dans cette utopie, nous devrions supprimer l’empire de « l’image-spectacle ». Nous devrions « faire ensemble »… Pistoletto cherche, sans cesse, la renaissance, le réveil, le printemps, le renouvellement du cosmos. Il affirme : « Le moment est venu de donner naissance à un troisième paradis dans lequel l’humanité réussira à concilier et à conjuguer l’artifice avec la nature. » Ce serait « un moment de transition dans lequel l’intelligence humaine trouve les moyens de cohabiter avec l’intelligence de la nature »… Et, demain, tu découvriras la renaissance… Demain…

Gilbert Lascault

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