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Article publié dans le n°1095 (16 déc. 2013) de Quinzaines

Voici le dernier roman de Colette Lambrichs, qui écrit peu (depuis 1997, quatre recueils de nouvelles et un roman) mais qui publie beaucoup les autres (ceci expliquant probablement cela) à La Différence, la maison d’édition qu’elle dirige depuis 1976, soit quatre ans après avoir quitté la Belgique où elle est née.
Voici le dernier roman de Colette Lambrichs, qui écrit peu (depuis 1997, quatre recueils de nouvelles et un roman) mais qui publie beaucoup les autres (ceci expliquant probablement cela) à La Différence, la maison d’édition qu’elle dirige depuis 1976, soit quatre ans après avoir quitté la Belgique où elle est née.

En dépit de sa relative brièveté, le roman brasse de nombreux personnages, leurs accointances et une partie de leur destin avec vivacité et clairvoyance. C’est que sa construction est efficace, assez semblable au scénario d’un film, dont le cameraman aurait braqué le projecteur tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre, et particulièrement à un film d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël, parce que tous deux, le film et le roman, racontent une histoire de famille, les relations souvent violentes, terribles, que ses membres entretiennent les uns avec les autres, autour d’une mère atteinte d’une maladie grave, là Catherine Deneuve, ici l’actrice Éléonore.

Au cours de vingt-sept brefs chapitres, nous découvrons les personnages et ce qui les anime, ce qui les lie, ou pas, aux autres ­– chaque chapitre étant en quelque sorte une nouvelle de quelques pages, qui éclaire un fragment du tableau général, de la photo de groupe, sur laquelle figurent : Éléonore, bien sûr, en reine mère, au centre ; son vrai et son faux fils, Pierre et Yves ; sa bonne Fernanda ; la magnifique Rita, la parente par alliance et peut-être son double, en plus jeune ; et puis, en s’éloignant un peu du cercle des intimes, l’amant de celle-là, l’ami de celui-ci, les connaissances utiles, médecin, avocat, professeur, plus lointains car présents seulement à la fin. Aussi sont-ils plus flous, comme si Colette Lambrichs n’avait porté sur eux que le regard d’Éléonore, agacé et distrait, tandis qu’elle vibre à Pierre, le fils aimé, et à Rita, la compagne successive de chacun des deux fils puis la maîtresse du sculpteur Jan.

Ceux qui portent le livre, qui l’irriguent, sont essentiellement Éléonore, Rita et Jan, des êtres dévorants, des autres, de la vie, dont ils sont les amants. Les passages les plus beaux, les plus nerveux, les plus chargés de feu, sont ceux où Jan fait l’amour avec Rita, ils nous sont racontés avec une crudité jamais vulgaire ni complaisante, une santé truculente et joyeuse, rare sous la plume d’une femme. « Épanouir une femme est le seul miracle dont puisse se glorifier un homme », lance Éléonore à ses invités, lors du bouquet final.

D’une façon générale, l’amour qu’on fait ou qu’on a fait, avec les femmes, avec les hommes, tient une place prépondérante. Le résultat : une famille compliquée, des demi-frères, une bonne, plus liée qu’on ne croit tout d’abord à ses maîtres. Et la figure très présente du grand absent : celle du mort, le mari d’Éléonore. Les portraits sont sévères, les relations brutales, et la Belgique, où se passe le roman, est évoquée avec rudesse. « Ici on parle mal et on intensifie les travers pour sceller son appartenance au groupe. Il avait toujours eu cette manie en horreur ». Ou encore : « Ici, le burlesque l’emporte sur la tragédie ».

Quelques artistes échappent à la critique : Spilliaert, Frits van den Berghe, Gustave de Smet, Ensor (« En plus de ses tableaux, il a écrit des pages magnifiques », c’est Jan, le peintre, qui parle), et surtout Permeke : « Était-ce d’être né à Jabekke et d’avoir joué enfant autour de la maison “De Vier Winden” où le maître avait vécu, que s’était formé son goût d’une lutte physique avec la matière ? Aujourd’hui encore, lorsqu’il contemple, à la marée montante, la mer lourde qui grimpe et titube contre le brise-lame, ce sont les “marines” de Permeke des années 27-28 qu’il voit, si terreuses qu’on les croirait solides. »

La plage d’Ostende est si bien évoquée que le lecteur voudrait s’y rendre. Et la bonne chère qu’on va chercher dans certains restaurants fait saliver : « Un pâté qu’on éventre fait trembler de plaisir la langue dans la bouche. »

En dépit de quelques rares facilités de langage, qu’on pardonne volontiers à Colette Lambrichs, le style, classique et inventif, la construction, qui emprunte au cinéma et aussi au théâtre, enfin le ton, âpre et dru, contribuent à donner au lecteur un plaisir indéniable, et au roman une place à part dans l’accumulation des feuilles ou des feuillets d’automne.

Colette Lambrichs privilégie les notations précises sans coller platement au réel : Magritte, un peintre réaliste ? « En fin de compte (avait dit Jan à José, comparant la maison de ce dernier, située au sud de Bruxelles, à une œuvre du peintre) il manquait les réverbères au crépuscule, comme dans le tableau, le ciel était très clair et les feuillages des arbres presque noirs. Ici le vent ne chassait pas les arômes comme à la mer et il avait découvert aux différentes saisons les odeurs qui flottent sur la terre humide, le parfum des lilas courbés sous la pluie, de l’herbe fauchée ou celui des pommes blettes qui pourrissent dans les ornières. » On ne se déprend pas si facilement du pays d’origine.

Marie Etienne

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