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Un écrivain forain

Article publié dans le n°1028 (16 déc. 2010) de Quinzaines

 Sous son titre ironiquement polémique et une couverture qui rappelle le graphisme des futuristes (elle est du peintre Jean-Pierre Raynaud), Franck Venaille nous propose, avec son dernier livre, de goûter avec lui les auteurs qu’il fréquente, morts ou vivants.
Franck Venaille
C'est nous les modernes
 Sous son titre ironiquement polémique et une couverture qui rappelle le graphisme des futuristes (elle est du peintre Jean-Pierre Raynaud), Franck Venaille nous propose, avec son dernier livre, de goûter avec lui les auteurs qu’il fréquente, morts ou vivants.

Un livre souriant, c’est-à-dire aimable, généreux parce qu’il se penche sur l’œuvre d’autrui, et assez unique dans sa forme. Car nous ne lisons rien qui ressemble à un traité de style, à une analyse littéraire ou à une histoire des courants contemporains en France, nous cheminons, d’un bref texte à l’autre (ils ont chacun environ une page et demie, leurs premiers mots, en lettres capitales, servant de titre), d’un moins bref chapitre à l’autre (leur titre à eux, disposé en goutte, seul sur la page, comme un poème), avec une sorte de bonheur.

Oui, de bonheur, alors que Franck Venaille traite de sujets apparemment rébarbatifs (qu’est-ce que la poésie ?) ou carrément dramatiques (la souffrance de vivre). C’est qu’il n’hésite pas devant le mélange des sujets et des tons, ni non plus devant une apparente désorganisation, une structure qu’on pourrait dire aléatoire, qui le conduit à raconter des épisodes biographiques tout en mettant en scène autrui, à exprimer ses idées propres et celles de ses auteurs. La liberté le mène, comme s’il se moquait du qu’en-dira-t-on, comme s’il n’avait plus rien à perdre. En découle une aisance, une grâce réjouissante.

Et d’abord, qui est-il ? Quelqu’un qui s’est construit (voire inventé, « J’ai décidé d’être né à Ostende »), comme tout bon écrivain, à partir de la séparation : « J’ai longtemps caché à ma famille que j’étais écrivain » et surtout à partir de la « douleur première ». Écrire consiste alors à mener la guerre à l’angoisse. C’est dire que la poésie est action, conquête, « approche lyrique de la maladie d’exister ». Ce qui lui fait revendiquer l’héritage de Maeterlinck, si apte à mettre en page, en scène, ces êtres étranges, ces « avertis » qui semblent « demander pardon d’une faute inconnue ».

En même temps ce vulnérable ne dédaigne pas le monde, au contraire, il veut s’approprier son mouvement réel, l’intégrer au langage poétique : « Du balcon de ma chambre d’hôtel je voyais la nudité de la mer et je me disais : C’est ici que sont mes livres » ; vivant dans son rêve ; préférant l’œuvre à son auteur, le personnage, Catherine Crachat, à son créateur, Jouve ; privilégiant le rythme ou la vitesse, comme on voudra, la danse des mots : « J’en tiens pour quelque chose de cadencé, de rythmé, qui se regarde bouger sans règle imposée » ; aboutissant à une gaîté, au moins formelle, une gaîté contagieuse : « J’étais obsédé par le réel, le poids des choses, leur allure et la vivacité avec laquelle elles se transformaient. Mais, demande l’étourdi : C’était quoi le réel dans ces années-là ? »

On en revient à un de ses soucis de base : rester terrestre, demeurer de ce monde, garder l’odeur des villes, ses couleurs et ses signes. Ce qui n’est pas contradictoire avec la position apparemment inverse, garder « sa place à l’inconscient ». D’où son goût pour Pierre Jean Jouve, son regard intérieur, et l’intérêt qu’il manifeste pour la chose politique : « Les communistes sont les libertins de notre siècle… Mounin m’accueillait avec élégance… tentant de me réconforter à mon retour d’Algérie », raconte-t-il lors d’une incise biographique, comme il en use souvent ; avec humour, tendresse, il malmène celui qu’il prenait à l’époque de sa jeunesse pour son père : « J’en ai marre de ce type qui ne comprend rien à rien. » Comme lui, il pense que « la poésie doit d’abord être la vie vécue, la vraie », et aussi, contradictoirement (?), que l’écriture est primordiale.

Jouve encore, l’obsession de la faute : « Mais de quoi est-il coupable ? » s’interroge-t-il à son propos en même temps qu’au sien, car le poète, parlant des autres, se regarde, se mire aussi en eux. « Il n’est pas étonnant que son écriture soit d’essence musicale… mais traversée, comme à l’opéra, de déploration, de larmes et d’éclats de rire qui viennent des cuisines. »

Ainsi raconte-t-il les rencontres du groupe Orange Export autour d’Emmanuel Hocquard et du peintre Raquel, dont, à ses dires, le chien Gaspard était la vraie vedette, « la réincarnation, combien hargneuse et sauvage, de Mallarmé ». Pour ne pas faire le beau comme un chien, ce qu’évite justement Gaspard, il ne veut pas écrire une langue trop attentive à elle-même, dénuée de surprises, il s’intéresse au sport, à la peinture, au jazz bien sûr, qui lui apprennent une « dynamique de la cadence » sans pour autant abandonner la part d’obscurité indispensable, inévitable à tout texte qui relève du secret.

Un livre grave et drôle, inclassable comme l’est Franck Venaille, écrivain forain qui sait cracher le feu parce qu’il connaît le sens du vent.

(Sur Jean Cocteau)

« L’homme est couché. Son lit occupe pratiquement la totalité de sa chambre. C’est un lit triste, je veux dire, un lit à une personne. Quand il pense à tous corps qu’il a entraînés dans d’autres draps plus vastes, l’homme malade sourit. Timidement. Et remonte ses couvertures jusqu’à sa bouche. La grande fenêtre est ouverte. Il est saisi par un ciel bleu claironnant sa beauté, des branches d’aroles, et cette indéfinissable lumière de l’Engadine. L’homme est venu, ici, reprendre quelques forces. Il n’est pas dupe. Et c’est presque en cachette qu’il écrit les poèmes de son Requiem. Ainsi peut-on, malgré tout, se trouver dans un tel lieu mythique et mourir ! Quelle étrange découverte. »

Franck Venaille, C’est nous les Modernes, © Flammarion.

Marie Etienne

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