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Une baronnie. Les éditions Tarabuste à Saint-Benoît-du-Sault

Article publié dans le n°1056 (01 mars 2012) de Quinzaines

La maison qui abrite les éditions Tarabuste (bureaux, ateliers de fabrication, et même résidence d’écrivains) est sise à Saint-Benoît-du-Sault (Indre), dans le Berry. Depuis son jardin terrasse,...

La maison qui abrite les éditions Tarabuste (bureaux, ateliers de fabrication, et même résidence d’écrivains) est sise à Saint-Benoît-du-Sault (Indre), dans le Berry. Depuis son jardin terrasse, on a vu sur la rivière « le Portefeuille », et un paysage baigné de pluie ou de lumière, c’est selon. On quitte la maison pour aller se promener d’un château médiéval écroulé à l’abbaye de Saint-Savin, de la maison de George Sand au cimetière de Civeaux, riche de 400 tombes mérovingiennes ; ou plus modestement pour pêcher, chercher des champignons, et quelquefois chasser le sanglier.

Typique du bourg, la maison voisine avec une église romane et un prieuré qui servit (et a le projet de servir encore) à des activités culturelles. C’est là que rayonne, avec un talent non seulement d’éditeur et d’artiste, mais aussi avec un sens étonnant des rapports sociaux, une bonhomie, une gentillesse contagieuse, Djamel Meskache, qui fait figure à nos yeux de baron sur ses terres, en compagnie de Claudine Martin, à l’efficacité et au raffinement tout aussi essentiels. 

La Quinzaine littéraire – Après quelles pérégrinations biographiques en êtes-vous venus à vous installer dans cette région ? Et pourquoi, précisément, à Saint-Benoît-du-Sault ?

Djamel Meskache – Début des années 80, Jack Lang, sous la gauche qui venait d’accéder depuis peu au pouvoir, avait décidé d’une politique d’ateliers d’artistes en région. Il se trouve que Saint-Benoît-du-Sault disposait d’un atelier d’artiste et qu’après avoir un peu bourlingué à travers l’Europe, j’étais à la recherche d’un lieu pour y développer une activité d’édition d’art. Cela s’est produit, cela devait se produire...

QL – Vous avez créé les éditions Tarabuste (du provençal tarabustar : faire du bruit) avec Claudine Martin en 1986 et avez publié depuis environ 500 ouvrages : poésie, récits, livres d’artistes… sans compter la revue Triages. Quels sont les événements, les rencontres, les lectures, qui vous ont conduit à l’édition ?

D. M. – Adolescent, en Algérie, j’avais l’ambition de créer une revue littéraire. Mes lectures d’alors : les surréalistes beaucoup et Tiers-mondisme aidant, Franz Fanon mais aussi Jean Sénac et Kateb Yacine. Puis, la vie en a décidé autrement, puisque de l’adolescent poète, je suis passé à l’édition de poésie grâce en effet à la collaboration de Claudine Martin, à l’époque spécialiste de reliure contemporaine.

QL – Vous avez publié de nombreux auteurs parmi lesquels on retrouve Louis Calaferte, Antoine Emaz, James Sacré, Jamel-Eddine Bencheikh, Maryline Desbiolles, Françoise Clédat… Question classique : quels sont vos critères de choix ? Et une autre, qui l’est moins : avez-vous une politique particulière en ce qui concerne les femmes, à l’honneur dans votre catalogue ?

D. M. – Il n’est pas simple de déterminer l’origine de ce qui nous meut et émeut. La totalité des auteurs publiés sont des auteurs vivants ou en tout cas qui l’étaient quand nous les avons approchés. La façon dont nous constituons notre catalogue doit tout au goût que nous développons pour certaines écritures et peu à la branche armée des modes et des tendances. J’aime, je publie, je n’aime pas et je ne publie pas… Du coup on ne peut pas parler de ligne esthétique sinon que m’attirent les inquiétudes, les questions de mes contemporains, interrogeant les écritures et l’Art. Quant aux femmes, elles sont présentes d’une manière naturelle, c’est-à-dire la manière dont elles constituent 50 % de l’humanité. Je peux affirmer, humblement, qu’écrivant, elles sont les égales des hommes.

QL – Votre maison d’édition s’inscrit fortement dans le paysage de Saint-Benoît-du-Sault et de la région. Comment travaillez-vous avec la municipalité ? Quels sont vos projets communs ?

D. M. – Nous ne travaillons plus avec la municipalité ; je dirais même que suite à une mauvaise expérience survenue en 2002*, nous pratiquons, pour ce qui concerne la partie édition, c’est-à-dire Tarabuste, le retrait politique. Par contre, la revue Triages s’appuie sur une association nationale et localement s’identifie avec des actions menées en région.

QL – Vous n’avez pas de diffuseur. Comment vous y prenez-vous pour faire connaître et pour vendre vos livres ?

D. M. – La valise en carton est la meilleure façon de transporter des livres d’un lieu à un autre, les présenter dans les bibliothèques, les librairies, les salons. À cela s’ajoute un réseau serré d’abonnés et d’amis, la boutique virtuelle de Tarabuste ainsi que quelques ventes par Internet. Bon an mal an, nous survivons. Très tôt, nous avons pensé une économie différente : Tatiana Levy s’occupe essentiellement des actions de l’association Triages art&littérature ainsi que de la collection « Point de vue » consacrée aux écrits et livres d’artistes tandis que Claudine Martin dirige toute la fabrication (en interne) des ouvrages, et ce, toutes collections confondues. Pour ma part, je suis commis d’office aux tâches commerciales et de communication.

QL – Vos livres ont une grande qualité graphique. Quelles sont vos options en matière de fabrication ?

D. M. – Autodidactes de l’imprimerie, nous avons commencé d’imprimer nos premiers ouvrages au moyen de techniques anciennes : typo, sérigraphie, litho. C’est une bonne école, dans laquelle le temps est un atout maître et l’incertitude aussi ; laisser décanter les choses à loisir, surgir les problèmes, voire revenir sur certains aspects. Il y a quinze ans, une semaine était nécessaire pour fabriquer une plaquette de 40 pages en typo mobile. Il faut aujourd’hui à peine une journée pour composer un ouvrage de 100 pages sur un ordinateur familial. En terme de graphisme, sobriété ne rime pas forcément avec ignorance. D’autre part, nos ouvrages sont façonnés main, ce qui leur confère un caractère artisanal, un peu vieillot et qui les démarque d’une production plus massive...

QL – Vous êtes, vous-même, un artiste (peintre, photographe, poète). Quelles incidences ont ces goûts et ces pratiques personnels dans votre métier d’éditeur ?

D. M. – Est-il vraiment nécessaire de parler de tout ? Tarabuste est d’abord une maison d’édition qui continue de se chercher et de chercher les moyens nécessaires à sa survie. On veut pouvoir y éprouver le besoin de poésie de nos contemporains, les plus jeunes souvent tant décriés... Et puis il y a la beauté et l’amour de la langue en partage des vivants, comme dirait Louis Calaferte. Le reste n’est qu’expertise du réel, voire encore une fois vanité...

* La mairie fraîchement élue en 2002 avait opté pour le sentiment de l’extranéité et l’horreur du poème, préférant vendre les locaux municipaux à de nantis touristes susceptibles d’y abriter leur piscine plutôt que d’en continuer la location aux éditeurs de Tarabuste.

Marie Etienne

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