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La précision des machines chimériques

Sans cesse, l’inconnu Jean Perdrizet (1907-1975) dessine soigneusement des machines chimériques, des engrenages complexes et saugrenus, des agencements insolites. Avec minutie, il imagine, en permanence, de nouvelles inventions imprévues, des recherches étranges.

EXPOSITION
JEAN PERDRIZET : DEUS EX MACHINA
Galerie Christian Berst/Art brut
3-5, passage des Gravilliers, 75003 Paris
(accès par le 10, rue Chapon)
3 février – 10 mars 2012

 

CATALOGUE
M. ANCEAU, J. ARGÉMI,
J. GAËL BARBARA, M. DECIMO
JEAN PERDRIZET
Éd. Christian Berst/Art brut Paris, 108 p., nb. ill., 20 €

Sans cesse, l’inconnu Jean Perdrizet (1907-1975) dessine soigneusement des machines chimériques, des engrenages complexes et saugrenus, des agencements insolites. Avec minutie, il imagine, en permanence, de nouvelles inventions imprévues, des recherches étranges.

Continuellement, Jean Perdrizet multiplie des topos, des croquis, des projets, des schémas, des plans, des diagrammes. Sans arrêt, il les note ; il les commente ; il les interprète ; il ajoute des ratures, des corrections, des retouches, des remaniements, des biffures. Sans relâche, il émet des messages ; il veut éveiller la conscience des terriens, mais aussi celle des habitants des autres planètes et également celle des robots. Il veut toujours communiquer, dialoguer. Sur son tampon, il s’affirme « inventeur ». Il écrit fréquemment à la NASA, au CNRS, à l’Académie suédoise (dans l’espoir d’un prix Nobel), au Vatican, à diverses Facultés des sciences, aux robots sélénites, à d’autres robots cosmonautes, à certains fantômes qui « connaissent le morse »… Il veut construire une « machine à écrire avec l’au-delà ». Il cherche à « percer les mystères de l’Après-mort ». Il propose une « soucoupe volante à fusée à treuil volant ». Il envisage une nouvelle langue, la « Langue T » qui serait un « espéranto sidéral », un langage « optimal-minimal ». Il évoque le « Oui-ja électrique » avec des torsions théoriques et des courbes impromptues. Ou bien, le « machinois » pourrait être lu et être traduit.

Jean Perdrizet est né en 1907. Ses parents sont des instituteurs. Il obtient le baccalauréat. Puis, en 1931, il obtient un diplôme d’adjoint technique dans les Ponts et chaussées. En 1939, il est mis en disponibilité pour raison de santé. Épisodiquement, il exerce alors des travaux d’électricité et de dessin industriel. En 1955, il vit, célibataire, à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-­ Provence) chez ses parents qui s’y sont installés. Jusqu’à sa mort (trois jours après celle de sa mère), en 1975, il construit dans une cave des maquettes de machines imaginaires. À Digne, boulevard Saint-Jean-Chrysostome, il crée des « choses » ; il les entasse. Il emploie alors des ficelles, des boîtes de conserve (qui deviennent les réservoirs d’une « fusée sélénite »), des caisses-supports, des fils électriques, des interrupteurs, des lampes de radio, des tubulures de bicyclette (qui forment l’ossature d’un « hélicoptère à pédales »)… Il est alors un cousin du bricoleur d’une chanson de Georges Brassens et tu entends alors le refrain : « Boîte à outils ! Boîte à outils ! » Par le bricolage (que Claude Lévi-Strauss analyse), Jean Perdrizet s’arrange avec les moyens du bord », avec les outils rudimentaires et les matériaux hétéroclites. Il amoncelle un bric-à-brac au fil des ans. Et, très peu de temps après sa mort, les maquettes maladroites se sont cassées et ont été détruites.

De toute façon, Jean Perdrizet préfère ses plans à ses maquettes. Chaque invention doit être dessinée et magnifiquement colorée. Perdrizet remarque : « Moi, je fais d’abord une affreuse maquette, un horrible prototype qui marche mal mais qui marche. Puis, c’est un assez beau dessin. »

Grâce à ce livre-catalogue (original et espiègle) publié par la galerie Christian Berst, Jean Perdrizet apparaît alors comme un préfet du monde des morts, comme un administrateur de l’invisible, comme un haut fonctionnaire des rêves et des déceptions, comme un inventeur solitaire des machines célibataires. Il se révèle un neveu de Camille Flammarion (astronome passionné par le spiritisme), de Raymond Roussel, de Marcel Duchamp, d’Alphonse Allais.

Jean Perdrizet imagine un Hélicoptère centrifuge, le Buître à pales variables, une Pipe à eau, un Robot ouvrier auto-reproducteur, une Machine à écrire avec l’au-delà, un Cabestan pour piloter l’âme, une Machine liquide à lire et à voir à résistances, le Oui-ja électrique, un Robot ouvrier qui voit les formes par coupes de vecteurs en étoile, un Non-robot, la Tour logarithmique

Jean Perdrizet met en rapport des formules mathématiques, des explications linguistiques, des affirmations du spiritisme, la physique, la métaphysique, la théologie, la poésie et la N’importe-quoi… Par exemple, il écrit : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer comme roulement à billes entre les hommes… Un triangle c’est le retour à l’ancre après deux changements de direction du bateau-âme… La Bible est la science-fiction d’une NASA spirite… Le fantôme pousse une pendule qui vient toucher son anneau… C’est un œil cérébral des images imaginées et non vues… Une étincelle jaillit sous une dent porteuse de telle lettre… La lumière meurt à l’ombre car le laser est ici électronique… Toute la matière se dépelotonne en lumière… C’est un robot qui n’en est pas un – c’est un NON-ROBOT… ! Sans cesse, Jean Perdrizet émet des étranges messages impersonnels.

Gilbert Lascault

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