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Une découverte philosophique

Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) s’inventa lui-même, à la suite de la lecture de la Critique de la raison pure de Kant qui le libéra de tout précédent philosophique, de tout schème préalable institué.
Philippe Riviale
Johan Fichte. Eveil à l'automne. Le moi et le monde
Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) s’inventa lui-même, à la suite de la lecture de la Critique de la raison pure de Kant qui le libéra de tout précédent philosophique, de tout schème préalable institué.

Fichte est celui qui, sans se laisser guider selon les voies de pensée déjà tracées, a le premier, depuis Descartes (le propos de Kant fut tout autre : établir les limites de la raison), non défini le « moi », mais produit le « je » dans son « avoir lieu ». Il a fait basculer le philosophique dans sa propre mise en action comme « advenir à soi ». À partir de ce « ressenti » de soi, et à partir de Kant, Fichte a compris un implicite qui est à l’origine de l’avoir lieu philosophique. Le « moi » se pose en actes, il n’est pas la simple constatation de lui-même, il est en quelque sorte sa propre anticipation. « Le moi originel est pur appel, écrit Philippe Riviale, il est dénué de constitution, à la façon, dirais-je, d’un peuple en effervescence initiale, après une insurrection qui le met dans l’obligation de se donner une fondation ; c’est ce que rend le mot Aufhebung, abolition/surgissement. »

Là se pose d’ailleurs le problème de l’équivalence linguistique, tout repose sur l’indistinction du mot allemand « ich », à la fois « je » et « moi », et dont la consistance varie d’une langue et d’un emploi à l’autre. Le « je » de Fichte n’est pas égal à lui-même et le « ich » peut plus aisément se déployer comme si la présence du « moi » détournait le « je/ich » de son champ d’identité à autrui.

Philippe Riviale montre qu’on s’est souvent mépris sur la pensée de Fichte en la privant de son développement empathique. Le moi/je de Fichte n’est pas extensif, il ne s’étend pas à autrui mais, se sachant lui-même dans sa permanence progressive, il sait les autres. Le « moi » tel que l’entend Fichte n’est pas réduit à son enveloppe perceptive ; il n’est pas un état stationnaire, c’est peut-être là le malentendu qu’a fait naître la pensée de Fichte, croire que le moi absolu est une sorte de noumène fixe et invariable. La « conscience » de soi n’est possible que par ricochet, elle me prouve le non-moi, l’autre.

Notre existence n’a de sens que parce que nous la partageons avec les autres, elle n’est pas une donnée définitive mais constructive, l’actuel fait naître le futur, et la liberté de l’homme, sa conscience de lui-même, le fait échapper à la soumission. Le moi ne peut véritablement vivre que dans sa libre expansion. « Pouvoir vivre est la propriété absolue et inaliénable de tous les hommes », par là Philippe Riviale rapproche Fichte de Babeuf et de son idée du bonheur de vivre, non dans la misère et la détresse, mais dans le libre parcours du « cercle de l’existence ». Pour Fichte comme pour Babeuf, la liberté humaine est imprescriptible. Mais Babeuf, dépassé par la générosité de ses idées, tombe finalement dans le terrorisme et Fichte, dans les Discours à la nation allemande, verse dans l’exaltation nationaliste comme exclusion de ce qui n’est pas propre au Stammvolk, au peuple originaire, à la race fondatrice. Il est évident que l’éducation prônée par Fichte, celle qui réconcilie les nations avec elles-mêmes, ne peut qu’être allemande comme assurant l’authenticité. Malgré les beaux efforts de Philippe Riviale, le fameux Sixième Discours n’en contient pas moins les éléments déterminants d’une catastrophe future qui, et c’est là qu’on retrouve Fichte, ne fut nullement inéluctable car ses Discours pouvaient aussi ménager un autre avenir.

Georges-Arthur Goldschmidt

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