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Amusements de lettré

Depuis sans doute que la littérature existe, de fins esprits l’ont contournée, controuvée, l’ont détournée de son sens premier (raconter noir sur blanc quelque chose en espérant que ça passionnera « maint et mainte »), on n’ose dire de ses fonctions car elle n’en a pas, étant par essence de l’ordre du superflu.
Dominique Noguez
Montaigne au bordel & autres surprises
Depuis sans doute que la littérature existe, de fins esprits l’ont contournée, controuvée, l’ont détournée de son sens premier (raconter noir sur blanc quelque chose en espérant que ça passionnera « maint et mainte »), on n’ose dire de ses fonctions car elle n’en a pas, étant par essence de l’ordre du superflu.

Jouer avec les thèmes, avec l’Histoire littéraire, jouer surtout avec les styles, pasticher comme Proust, parodier comme Rabelais contrefaisant le bredouillis des moines, c’est-à-dire ajoutant le ridicule à cette forme subtile d’hommage qu’est le pastiche : tels sont les divertissements du lettré s’il choisit d’échapper aux contentions de la mise en mots par une autre forme de travail sur la langue au lieu, à l’imitation de Ronsard « tout ennuyé/D’avoir trop étudié/Les Phénomènes d’Arate », de proposer à ses amis en manière de délassement, quelque « folastrissime voyage d’Hercueil » – il s’agit d’Arcueil, à trois sauts du périphérique, qui était alors une bucolique campagne !

C’est dire que ces plaisirs-là, qui souvent roulent sur des minuties imitatives, des allusions plus ou moins (et plutôt moins) explicites, la connaissance intime d’un milieu étroit – celui des gens qui écrivent et qui essayent de lire bien –, la perception de ce que cache ou exhibe un tic de langage, une référence, ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, cérébraux, sont réservés à une frange infime de la population, et même de la population intellectuelle. N’est-il pas en effet patent qu’aujourd’hui l’immense majorité des décideurs analphabètes, des politiques illettrés, des journalistes dits abusivement culturels, voire l’ancienne confrérie constituée de ces fameux notables de province, négociants à la retraite, oisives privées de mondanités, qui firent la gloire des Balzac, Proust, Flaubert, Gide, Gracq, cette foule d’amateurs inconnus jadis fervents du plus dangereux des vices impunis, la lecture, délaisse peu à peu l’art difficile entre tous de ne se payer que de mots pour un pianotage effréné à la recherche de « sites », ou de rites qui ne passent plus par l’écrit ?

On souhaite donc sans trop y croire nombre de lecteurs affamés d’érudition joyeuse à la première et plus gouleyante partie de ce livre, celle où l’auteur coutumier de semblables et roboratives facéties (elles s’inscrivent dans la veine d’« Etudes plus ou moins sçavantes » dont la première, Les Trois Rimbaud, parut aux Éditions de Minuit dès 1986) s’exerce à fourrer Montaigne – c’est le titre du recueil – dans des situations scabreuses nullement incompatibles avec bien des anecdotes des Essais. Des sept articles en goguette qui composent ladite section, deux, très courts, concernent des écrivains imaginaires, et parmi les cinq autres, notre préférence va aux « Deux mythologies inédites de Roland Barthes », parfaitement réussies.

Conscient sans aucun doute que ses soixante-trois premières pages n’amuseront – n’ayons pas peur des mots – qu’une élite, celle qui par ailleurs et bien que les œuvres n’aient entre elles aucune ressemblance, se délecte aux mécaniques jubilatoires de Pierre Bayard, Dominique Noguez aborde un terrain plus facile avec « Du nouveau dans la vie littéraire », qui brocarde gentiment auteurs, éditeurs et jurys, le tout dans une atmosphère de bonne compagnie où nous souhaiterions plus de mordant sans toutefois dissimuler que la méchanceté, dans le marigot littéraire, manque singulièrement de vrais crocodiles, et que, pas plus que l’aimable essayiste, nous n’aimons frayer avec les hyènes.

Enfin, une troisième partie, purement ludique, offre un peu de prospective politique, un sourire critique sur les beaux-arts, quelques idées pour un Concours Lépine bouffon, rien ou presque que du bienveillant, sans charge ni surcharge.

Le livre s’achève cependant par une réflexion sur l’humour qui est fort sérieuse et, comme il fallait s’y attendre, mélancolique. Ce n’est pas seulement que, comme le disait l’admirable voix, une voix sauce béarnaise, veloutée et acide, de Jean Servais à la fin du film éponyme d’Ophüls, « le plaisir, mon cher, ça n’est pas gai ». C’est que l’amuseur pour lettrés restera tôt ou tard sur la rive quand l’étang petit de ses lecteurs se sera tari sans recours.

Maurice Mourier

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