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« Le mauvais genre n’est jamais vulgaire ». Entretien avec François Angelier

Article publié dans le n°1187 (01 févr. 2018) de Quinzaines

Depuis vingt ans, François Angelier a ouvert sur les ondes de France Culture un champ aux œuvres qui ont le « mauvais genre ». En compagnie de chroniqueurs-fouineurs, comme Céline du Chéné, Christophe Bier ou Jean-Pierre Dionnet, il explore l’actualité culturelle, en prenant soin de n’en aborder que le versant glissant, celui de la culture non officielle, non académique et parfois même non référencée. Entre culture pop et punk studies, le « mauvais genre » est devenu incontournable.
Depuis vingt ans, François Angelier a ouvert sur les ondes de France Culture un champ aux œuvres qui ont le « mauvais genre ». En compagnie de chroniqueurs-fouineurs, comme Céline du Chéné, Christophe Bier ou Jean-Pierre Dionnet, il explore l’actualité culturelle, en prenant soin de n’en aborder que le versant glissant, celui de la culture non officielle, non académique et parfois même non référencée. Entre culture pop et punk studies, le « mauvais genre » est devenu incontournable.

Éric Dussert : Avoir mauvais genre, qu’est-ce que c’est ?

François Angelier : Traditionnellement, « avoir mauvais genre » signale le déclassement social ou la marginalité. D’une façon générale et dans le cadre de l’émission en particulier, ça n’est pas une notion dont on peut faire une théorie ou donner une définition précise. Avoir mauvais genre, cela tient plus du sentiment, de l’impression, de la sensation ressentie en présence d’ondes malsaines qui vous traversent lorsque vous êtes au contact d’une œuvre. Le mauvais genre n’a rien de théorique, il peut prendre toutes les formes possibles. C’est à la fois très subjectif et impressionniste. De l’ordre du miasme, de l’onde.

ÉD : Si l’on en croit le succès de l’expression depuis qu’existe l’émission, le mauvais genre est également viral et collectif. Est-il fédérateur ?

FA : La notion est mouvante. Elle évolue et elle est vouée à évoluer et à se transformer. L’important dans le titre de l’émission « Mauvais genres », c’est le s. On est partis d’une expression courante pour la distordre. Ce qui nous permet de jouer sur les deux tableaux, celui des domaines où s’exerce le mauvais genre (comics, érotisme, aventures, polar, cinéma de genre, bd, etc.) et celui du sentiment particulier du « mauvais genre ». Comme ce sentiment est différent pour chacun, l’émission s’enrichit de toutes les visions coordonnées. En définitive, le mauvais genre de chacun vient créer une entité globale, protéiforme et mouvante. On peut dire qu’il y a deux manières possibles pour essayer d’en savoir plus : la première consiste à se laisser aller cette angoisse esthétique que l’on ressent face à un film de sabre japonais, un roman-photo italien ou un polar ; la seconde à quêter cette forme de vertige angoissé partout où il se trouve, même dans les œuvres les plus classiques.

ÉD : Le mauvais genre a-t-il un rapport avec le mauvais goût ?

FA : Le mauvais goût, c’est autre chose. Il relève plutôt du kitsch, d’un glamour un peu dégénéré. A contrario, le mauvais genre n’est jamais vulgaire. Il est inquiétant, ténébreux, troublant bien sûr aussi, mais pas vulgaire.

ÉD : Quel parcours vous a mené à produire cette émission ?

FA : J’ai fait ma première émission de radio en 1983. C’était « Une vie, une œuvre » consacrée à Lovecraft, premier signe de mes orientations et de mes intérêts. Mais avant d’entrer chez Jean Lebrun à « Culture matin », sur France Culture, j’ai fait diverses choses : des études sans grand effet, un passage éclair à Paris-X ; j’ai été vendeur de cartes postales au Louvre, figurant de publicités contre les insectes, juge d’un jeu télévisé… J’ai été (et je suis toujours) très lié aux activités des éditions Le Dilettante.

ÉD : Vous en rédigiez les « prière d’insérer », il me semble…

FA : Tout à fait. J’étais leur voisin, je les rédige toujours. Mais j’avais en ligne de mire France Culture. Après une année de théâtre en 1982, j’ai produit diverses émissions jusqu’en 1988, où je suis entré à « Culture matin » produite par Jean Lebrun. J’ai produit également « Agora », où je partageais le micro avec Gilles Lapouge. En 1992, « Mauvais genres » a été lancée sur la grille estivale. Une émission multigenres multimédia, qui est devenue un magazine hebdomadaire des cultures de genre.

ÉD : Un « Masque et la plume » apache ?

FA : Oui, c’est bien vu, mais en fait le principe est assez différent : « Mauvais genres » est une émission de contrebandier et de chineur ; la critique de l’actualité, certes, mais aussi la trouvaille, la pépite. Je garde une sorte de fascination pour les interventions de Jean-Louis Bory, dont nous avons parlé dans l’émission.

ÉD : Il y a eu aussi « La malle des Indes »…

FA : C’est l’émission qui a précédé, à l’été 1997, « Mauvais genres ». Tout y était déjà : radicalité des sujets (la culture des genres, le sexe, la mort, l’ordure) ; place de la musique ; le ton général. Depuis vingt ans, l’émission se poursuit en renouvelant son équipe, en agrégeant d’autres univers, d’autres genres… En guise de célébration de l’anniversaire, deux livres formidables viennent de paraître, qui en incarnent bien le ton : l’Encyclopédie pratique des mauvais genres de Céline du Chéné chez Nada et Obsessions de Christophe Bier au Dilettante. Céline du Chéné tient la chronique qui ouvre l’émission depuis des années. Elle va à la recherche de personnalités singulières, dont les travaux génèrent la surprise et le vertige dont nous parlions. Quant à Christophe Bier, son livre reprend 130 chroniques, où il évoque les hors-pistes et les mis au ban de la culture populaire. C’est, dans les deux cas, du concentré de « Mauvais genres », de l’élixir !

Bibliographie :

François Angelier et al., La Salette. Apocalypse, pèlerinage et littérature (1856-1996), Jérôme Millon, rééd. 2017.
Céline du Chéné, Encyclopédique pratique des mauvais genres, préface de François Angelier, Nada, 2017.
Christophe Bier, Obsessions, Le Dilettante, 2017.

Eric Dussert

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