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L'art et la terre

Le bâtiment s’imposait, excentré. Il avait son lieu et son nom, Sèvres, lié à la porcelaine des cadeaux officiels. Désignée comme la « cité de la céramique », Sèvres s’est largement ouverte à la création contemporaine.

EXPOSITIONS

PICASSO CERAMISTE ET LA MEDITERRANEE

Cité de la musique, jusqu'au 19 mai 2014

 

Catalogue de l'exposition

Sous la direction de Bruno Gaudichon et Joséphine Matamoros

 

DANIEL PONTOREAU

Galerie Fatihaa Selam, 58 rue Chapon, 75003 Paris

Jusqu'au 10 mai 2014

Le bâtiment s’imposait, excentré. Il avait son lieu et son nom, Sèvres, lié à la porcelaine des cadeaux officiels. Désignée comme la « cité de la céramique », Sèvres s’est largement ouverte à la création contemporaine.

Il y a peu, les grandes salles affectées au musée accueillaient quelques dizaines d’artistes pour un « parcours céramique ». Plus sélectif, un ouvrage, sous le titre Huit artistes et la terre, mettait en valeur la richesse, la diversité – de formes et d’esprit –, que l’on devait aux manieurs de ce matériau premier, à son association avec le four. Dans ce livre (éd. Argile, 2009), Germain Viatte, ancien directeur du Musée national d’Art moderne, rappelait l’histoire de l’art de la terre. Venu de la nuit des temps, enfoui dans les grottes, il s’est épanoui, jusque dans l’œuvre des peintres : Gauguin, Picasso, Miró, Derain, Fontana ou Barceló. Et parmi les huit, Daniel Pontoreau, grande figure de l’art céramique. Des artistes qui se font « artistes – artisans ». Mais qui, « artistes singuliers, ont tous le sens de l’ouverture au monde, d’un monde choisi originel ».

Deux expositions simultanées ouvrent à nouveau notre regard sur l’art de la terre. L’une à Sèvres, « Picasso céramiste », l’autre dans une galerie du Marais, consacrée à Pontoreau, artiste né en 1947. Picasso céramiste n’avait pas jusqu’ici bénéficié d’une rétrospective à Sèvres. Son œuvre de terre est pourtant immense : des milliers de pièces, souvent uniques. Le marché qui fait l’histoire de l’art était sans doute rétif à l’évaluation de pièces dont la « valeur » était inférieure à celle du moindre croqueton.

Voici donc, suivant les voies de la célébration de la Méditerranée, une vaste exposition : pots d’usage courant, récipients plus sophistiqués, héritages des formes antiques offrent leurs surfaces, leurs volumes et leurs courbes, à l’obsession imagière de Picasso. Il a rencontré à Vallauris la possibilité d’inventer son art de céramiste : des vases peuvent le conduire à des vases oiseaux, d’autres à des faunes et à des centaures dans l’ocre et le noir, comme dans les figures de l’Antiquité. L’inspiration est dite « méditerranéenne ». De la femme sur le ventre des coupes antiques à la femme rencontrée, il n’y a qu’un pas que fait alors Picasso. À Vallauris, il se sépare de Françoise Gilot, rencontre Jacqueline dont le pur profil est saisi sur des plats en 1956. En 1950, c’était Françoise. Les corridas, les faunes barbus, ont pu paraître répétitifs. Picasso a appris le « métier » à Vallauris. Il avait rencontré le grand céramiste catalan Josep Artigas. Sans suite. Au contraire de Miró. José Pierre, l’historien du surréalisme, a opposé vivement les pièces de Picasso et celles de Miró, à partir de l’apprentissage de leur métier : « Un maître (Artigas) moins pénétré de la gravité de son travail, un initiateur que n’aurait habité pareille exigence d’absolu et peut-être Miró n’eût-il pas échappé aux exercices superficiels, aux bavardages dans lesquels, quelques années plus tard, Picasso s’enlisera à Vallauris. »

Non. Rien de commun entre les œuvres de céramiste de Miró et de Picasso. Pour Miró, qui a précédé Picasso dans cette voie, la céramique prend le relais de la peinture, après les Constellations (1940-1941). Non pas une imagerie, mais la violence de l’imagination.

Chez les deux peintres, la couleur et les surprises que réserve le four relèvent souvent le fond de terre. La couleur, on la voit moins présente, très rare chez les céramistes les plus inventifs d’aujourd’hui. C’est la terre, qui conduit du blanc au noir en passant par les ocres.

Daniel Pontoreau a ainsi composé Cinq pièces faciles de terre réfractaire, de porcelaine et d’acier. La petite galerie de la rue Chapon présente une brève et forte anthologie de l’œuvre du sculpteur. Si les portes s’ouvrent, on peut voir à Bercy les hautes formes érigées par Pontoreau à l’invitation des architectes du ministère des Finances, Chemetov et Huidobro. Les musées se sont ouverts aux « lieux intérieurs » de Pontoreau, selon un des titres de l’artiste, arpenteur de l’imaginaire.

Il n’y a pas chez lui d’objets d’art tels que la sculpture les a longtemps privilégiés, s’y bornant. Art, artiste, les mots conviennent mal à cette œuvre forte et singulière. Comment désigner l’auteur ? Céramiste ? – c’est la limiter à son matériau primitif. Architecte ? – pas de bâtiment où s’abriter sur les étendues qu’il définit et jalonne. Poète ? – au sens premier du mot poète, celui qui fait, qui fait exister ce qu’il imagine sans en avoir l’idée.

Sur quel territoire ? On revient à la terre, la terre maniée et la terre parcourue par cet insatiable voyageur, dans son inventaire toujours inachevé de lieux inconnus.

Au désir répond l’acte, où son objet prend forme. Cette forme doit tout à l’écart des choses entre elles et à leur rencontre (figures, dimensions, consistances, matières ). Terre, bois, plaque de métal, fil entrent dans la composition des objets « bêtes » selon un mot de Pontoreau.

Il écrit aussi : « Comme Henri Michaux, je voudrais pouvoir dessiner les effluves qui circulent entre les personnes. Je m’intéresse aux concepts, aux signes, qui peuvent être perçus par les hommes de toutes les cultures. Il y a un langage des formes qui parle à tous. »

Georges Raillard

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