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« L’école est l’un des premiers lieux où l’on harcèle ». Entretien avec Denis Michelis

Dans cet entretien, Denis Michelis nous dévoile la genèse de son nouveau roman, en présentant ses personnages, tous « obsessionnels et harceleurs ».
Denis Michelis
 Amour fou 
Dans cet entretien, Denis Michelis nous dévoile la genèse de son nouveau roman, en présentant ses personnages, tous « obsessionnels et harceleurs ».

Velimir Mladenović : Dans ce roman, plusieurs formes d’amour sont abordées. Vous avez raconté l'amour paternel, maternel, entre un homme et une femme. Pourquoi ce titre L’amour fou ? Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Denis Michelis : « Amour fou » est une expression aussi ambiguë que le sont les protagonistes de ce roman. Ambiguë car l’un des personnages, Barnabé, souffre d’érotomanie, soit l’illusion délirante d’être aimé. Il s’agit d’une psychose hallucinatoire qui nécessite des antipsychotiques. Donc a priori ce jeune homme est (très) dangereux pour son entourage et pour les femmes sur lesquelles il a jeté son dévolu. Mais dans le même temps, je le rends attachant, drôle, c’est un garçon solitaire qui n’a pour amie que la Voix dans sa tête ! Quant à ce qu’il exprime sur le désir amoureux, l’obsession, le temps qui n’existe plus, cela me semble assez « juste » ou du moins c’est l’idée romantique qu’ont toujours portée les écrivains. Donc les auteurs doivent être fous, eux aussi, C.Q.F.D.

La folie chez le personnage c’est aussi un cliché du roman noir ou du thriller avec la figure du « harceleur » (stalker) qui met toute son énergie (sa folie !) à suivre, épier, surveiller sa victime. Cela fait partie de mes angoisses et de celles de beaucoup d’entre nous, me semble-t-il : être la proie d’un type fixé amoureusement, prêt à tout, jusqu’à passer à l’acte. 

V.M. : Amour fou est un roman qui aborde le sujet du harcèlement scolaire et conjugal. Pourquoi est-ce important pour vous d’en parler ? 

D.M. : Dans ce roman, tous les personnages sont obsessionnels et harceleurs. Ou victimes de quelqu’un d’envahissant. L’école est l’un des premiers lieux où l’on harcèle, et je pensais naïvement que depuis mon époque (années quatre-vingt puis quatre-vingt-dix), grâce aux mentalités qui évoluent et à toutes ces campagnes de sensibilisation, cela avait changé. Pourtant l’homophobie à l’école continue à tuer – on l’a constaté, hélas, encore très récemment. Comment est-ce encore concevable après tant d’annonces gouvernementales, de lois, de campagnes de prévention ? Je trouve cela si révoltant. Donc oui j’en parle dans Amour fou et je l’avais déjà esquissé dans Le bon fils.

V.M. : Il est difficile d’attribuer un genre à ce roman. On peut l’aborder comme un thriller, voire comme un thriller psychologique. Comment le définiriez-vous en tant qu’auteur et pourquoi ?

D.M. : Cela commence comme un thriller tout ce qu’il y a de plus banal : un homme accusé d’un crime par le passé revient au bercail espérant se faire oublier mais un nouveau corps est retrouvé. Puis l’intrigue bascule dans une sorte de Cluedo où chaque personnage devient suspect. C’est aussi un drame familial et une comédie parce que le regard que portent les différents protagonistes est décalé, souvent désopilant. Leur réaction face à la violence est parfois tellement à côté de la plaque que le lecteur – je l’espère – se surprend à sourire ou à rire. Quand on veut faire de la littérature « ambitieuse », on mélange forcément les genres. Dans son essai Les genres littéraires, Dominique Combe rappelle que depuis la seconde moitié du XIXe siècle « la transgression et la synthèse des genres » sont devenues des principes créatifs. En clair : on cite, on parodie, on pratique l’intertextualité, le « métissage ». C’est plutôt bon signe que de mêler plusieurs genres. Alors que dans les livres très grand public et moins « ambitieux », les auteurs respectent (je cite encore Combe) le « cloisonnement générique ». Ou pour le tourner autrement : le roman à l’eau de rose est purement sentimental, le polar se contente d’une enquête, etc.

Par conséquent quand on est porté, en tant qu’artiste, par le désir de proposer une œuvre de qualité, le mélange des genres, la mixité, le débordement vont de soi. Les critiques devraient s’inspirer de l’analyse de Combe, cela nous éviterait la sempiternelle remarque sur le fait qu’il ne faut pas ranger les auteurs dans des cases. Les cases existent pour les livres mais pas pour la littérature, ce sont deux choses différentes.

V.M. : Comment l'œuvre de Boileau-Narcejac a-t-elle influencé l'écriture de ce roman ?

D.M. : J’ai lu quelques-uns de leurs romans et adoré Celle qui n’était plus rebaptisé Les Diaboliques pour le film de Clouzot. Passés le côté un peu suranné de l’écriture et les prénoms hyper datés (Fabienne, Lucien…), ce sont de très bons tricoteurs d’intrigues et surtout ils ont humanisé le thriller en plaçant en son centre la victime. Dans le roman policier, ce sont les enquêteurs les héros, alors que dans le thriller la focale se déplace sur le personnage persécuté, celui ou celle qu’on décrit comme paranoïaque alors qu’en vérité une sourde machination se trame.

V.M. : Le personnage du roman Amour fou s'appelle Barnabé. Faut-il y voir un lien avec Inspecteur Barnaby ? Quels sont les traits communs entre votre roman et cette série ?  

D.M. : J’étais un fan d’inspecteur Barnaby, je ne manquais aucun épisode le dimanche soir. Allez savoir pourquoi plus jeune j’avais un faible pour les histoires de meurtre dans de charmants villages fleuris anglais. Le doublage était atroce et l’intrigue se traînait en longueur. Sans parler du côté réactionnaire des personnages. Il n’y avait que des Blancs, des riches mais sous le vernis beaucoup de violence et de perversité. C’était parfait pour une fin de semaine. Mais je préfère de loin la série Murder She Wrote (Arabesque), plus resserrée, tournée exclusivement en studio donc quasiment du théâtre filmé, brillamment dialoguée et avec ce mélange de violence et d’humour très américain – j’avoue le préférer à l’humour anglais.

V.M. : Aimeriez-vous que ce roman soit adapté en série télévisée ? 

D.M. : Évidemment ! Quel auteur n’en rêverait pas ? Le livre en lui-même est très sériel, et comme je crains que la série ne supplante la littérature, j’essaie d’allier les deux. 

[Denis Michelis, né en Allemagne en 1980, est un journaliste, écrivain et traducteur français. Il a publié les romans : La chance que tu as (2014), éd. Stock ; Le bon fils (2016), État d’ivresse (2019), Encore une journée divine (2021) et Amour fou (2024), éd. Noir sur Blanc.­­]

Velimir Mladenović

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