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La rêverie cosmique de Louis Auguste Blanqui

 Que sait-on aujourd’hui de Louis Auguste Blanqui ? Ses proclamations, ses appels incessants à l’insurrection ont-ils aujourd’hui des lecteurs ? Se rappelle-t-on même qu’il publia un journal (1880-1881) qui s’intitulait Ni Dieu, ni Maître ? Lit-on encore le livre que lui consacra Gustave Geoffroy, L’Enfermé, en 1926 ? Et pourtant il suscita d’ardentes admirations.
Louis Auguste Blanqui
L'éternité par les astres
 Que sait-on aujourd’hui de Louis Auguste Blanqui ? Ses proclamations, ses appels incessants à l’insurrection ont-ils aujourd’hui des lecteurs ? Se rappelle-t-on même qu’il publia un journal (1880-1881) qui s’intitulait Ni Dieu, ni Maître ? Lit-on encore le livre que lui consacra Gustave Geoffroy, L’Enfermé, en 1926 ? Et pourtant il suscita d’ardentes admirations.

Karl Marx le définissait comme « le plus grand lutteur de la période qui s’étend entre 1827 et 1881 » ; Walter Benjamin le déclarait « la voix de bronze (qui) ébranla la XIXe siècle ». Baudelaire ne l’ignora pas. Flaubert dans le Dictionnaire des idées reçues à l’entrée « Insurrection » donne comme définition, « Le plus saint des devoirs (Blanqui) ». Plus près de nous, Breton dans son panthéon surréaliste lui fit une place. Enfin, Alain Decaux lui a consacré une biographie en 1976. Choix étrange quand on y réfléchit. André Marty, que ses nombreuses incarcérations conduisirent à se prendre pour Blanqui lui-même, fut un membre actif de la Société des amis de Blanqui, au point pour certains de ses défenseurs d’oublier qu’il fut dans le PCF un des staliniens les plus brutaux et les plus obtus. Le gauchisme post-soixante-huitard, par ignorance ou goût des violences maoïstes, ne s’est guère référé à ses Instructions pour une prise d’armes, que republièrent pourtant en 1973 Miquel Abensour et Valentin Pelosse.

La vie extraordinaire de Blanqui vaut mieux qu’une biographie consacrée par un académicien, auteur à succès, ou que sa récupération par un stalinien notoire. Né en 1805, Louis Auguste Blanqui fut témoin des affrontements sanglants de 1820 entre étudiants et policiers et de l’exécution des Quatre sergents de La Rochelle. Il adhéra à la Charbonnerie, société secrète fondée en Italie pour lutter pour la démocratie et le triomphe des idées libérales. Étudiant en droit, il est blessé en 1827 lors des manifestations républicaines. Il participe activement à la Révolution de 1830. Mais en 1831, il est arrêté pour la première fois pour délit de presse et complot contre l’État. À partir de là, il sera « incarcéré plus de vingt fois, déporté, et trois fois condamné à mort », comme le rappelle Lisa Block de Behar. Il tentera plusieurs fois de s’évader. Libéré en 1848, il est à nouveau emprisonné. On le soupçonne d’être un inspirateur de la Commune. En 1872 il est condamné à la réclusion perpétuelle. Grâcié en 1879, il meurt en 1881.

Blanqui rédige L’Éternité par les astres en 1871, après la chute de la Commune. Il est alors interné à la sévère prison du Fort du Taureau au large de Morlaix. Son livre est publié peu après son transfert à Clairvaux et sa condamnation à la déportation. Pour ceux qui connaissent la réputation et les écrits de Blanqui, ce texte étonne. On s’interroge sur l’articulation de cette méditation poétique sur l’infini astral et des appels à l’insurrection, et de l’activisme politique, qui sont la marque de Blanqui. Comment un penseur du social, un réformateur radical peut-il se consacrer à une rêverie cosmique, dont il suit avec une grande attention la publication et dont il envisage une réédition augmentée à la veille de sa mort ? Si le confinement carcéral imposé à Blanqui, si son vieillissement et l’approche de la mort peuvent expliquer sa soif d’espaces infinis – et je ne suis pas de ceux qui y verraient un reniement ou une faiblesse –, il est plus complexe de trouver une cohérence qui unirait la révolte politique et sociale de Blanqui et la leçon de L’Éternité par les astres. La brillante et très riche présentation de Lisa Block de Behar propose des hypothèses convaincantes pour la première de ces apparentes incongruités que représente ce poème en prose consacré aux astres. Car le tribun se révèle en ce texte inattendu un admirable prosateur, sensible au silence de l’infini cosmique et aux vertiges du monde spatial, et usant aussi d’un lyrisme épique pour décrire la construction du système solaire.

Il est légitime de rapprocher L’Éternité par les astres du poème Le Gouffre et de mettre en parallèle la solitude littéraire de Baudelaire et celle, politique, de Blanqui. Faut-il aussi rappeler les relations étranges à la science qu’entretiennent certaines formes poétiques comme les Chants de Maldoror de Lautréamont ? Face à ce texte de Blanqui, faut-il rappeler l’anarchisme des Reclus, les géographes, ou d’Élie Faure, l’historien de l’art. Louis Auguste Blanqui est le contemporain de Jules Verne et de Camille Flammarion. La littérature de l’époque est volontiers anticipatrice. Tout ceci explique le goût de Blanqui pour l’astronomie, son admiration pour Laplace, astronome, auteur d’un « titre immortel », La Mécanique céleste, qu’il a rendu accessible dans son Exposition du système du monde. Sa Note sur Laplace suit immédiatement l’exposé des données brutes et des approches philosophiques sur l’Infini et l’Univers. S’il est vrai que le parcours des espaces sidéraux représente pour l’emprisonné une forme de liberté, pourquoi ne pas admettre que l’expansion continue du système solaire, analysée et exaltée, sans aucune intervention extérieure à sa propre dynamique représente, par opposition, une réflexion sur l’histoire humaine, hésitante et sans cesse déviée de sa course ? Pourquoi le révolutionnaire, vaincu, emprisonné, mais toujours actif, n’y aurait-il pas perçu un modèle inaccessible et un encouragement à lutter ou une raison d’espérer ?

Que vaut scientifiquement l’hypothèse astronomique avancée par Blanqui ? On est tenté de poser la question en se sachant incapable de lui apporter une réponse. On peut en référer à Camille Flammarion qui dans l’extrait de la critique consacrée à L’Éternité par les astres, citée par Lisa Block de Behar, se gardant de juger de la valeur scientifique de l’hypothèse, avoue : « On éprouve un certain plaisir à voyager avec son imagination sur l’aile des comètes, qui voltige de système en système. » Rejoignons par ce livre d’autres rêveurs : Baudelaire, Rimbaud, Laforgue, Borges, Bioy Casares, pour ce voyage astronomique et poétique auquel la riche introduction de cette édition nous invite. Sans oublier le défi que se lance Blanqui, raconter l’éternité comme une histoire, soumise à sa seule dynamique, et non comme un temps immobile.

Jean M. Goulemot

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