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Une invitation à lire Diderot

Il m’est déjà arrivé dans La Quinzaine de me réjouir des commémorations littéraires, des éditions, des biographies, des colloques internationaux qu’elles favorisent. Mais reconnaissons qu’elles échouent le plus souvent à répondre à un problème qui hante professeurs, éditeurs, libraires et critiques. Comment inciter à lire l’œuvre de celui qu’on honore ?
Laurent Vanzieleghem Loty
Esprit de Diderot. Choix de citations
Il m’est déjà arrivé dans La Quinzaine de me réjouir des commémorations littéraires, des éditions, des biographies, des colloques internationaux qu’elles favorisent. Mais reconnaissons qu’elles échouent le plus souvent à répondre à un problème qui hante professeurs, éditeurs, libraires et critiques. Comment inciter à lire l’œuvre de celui qu’on honore ?

Car les biographies savantes, les colloques n’intéressent guère au-delà du cercle réduit des spécialistes. Le goût actuel pour les biographies ne conduit que très rarement à la lecture de l’œuvre de celui dont on scrute si attentivement la vie. Les nouvelles générations, à de rares exceptions près, sont peu lectrices. À la passion de lire, les générations actuelles préfèrent d’autres plaisirs. On peut se résigner ou chercher des moyens nou­veaux d’inciter à lire. En voici un.

Tout au long de l’âge classique ont été publiés de petits volumes, recueils de citations d’un auteur, le plus souvent disparu. D’une œuvre jugée importante, ils proposaient des extraits. Ils en offraient l’essentiel à ceux qui n’avaient ni le temps ni les moyens de la lire. Connurent à la fin du XVIIe siècle une très large diffusion L’Esprit de Guy Patin et L’Esprit de La Mothe Le Vayer. Au XVIIIe siècle, les esprits de se multiplièrent : de Fénelon, de Fontenelle, de Chamfort, de Beaumarchais, de Montesquieu, de Rivarol, de Raynal, de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau, de Diderot. Lui-même. Un abbé de La Porte proposa un Esprit de l’Encyclopédie en 5 ou 6 volumes. On a avancé que la diffusion du rousseauisme devait plus aux éditions des extraits de Rousseau qu’à la lecture de ses œuvres complètes et que le rousseauisme populaire de la Révolution trouvait là une de ses sources.

Laurent Loty et Éric Vanzieleghem ont retrouvé, naturellement j’imagine, le format et, pour l’essentiel, l’organisation de ces lointains esprits. Mais ils sont aussi des chercheurs informés des recherches actuelles sur Diderot et les Lumières. Leur savoir a orienté le choix des citations et la division en rubriques (d’« Amour » à « Unité », 28 entrées). Ils proposent une lecture de Diderot dont leur préface « Libérer les esprits, associer les idées » donne les lignes directrices. Les paradoxes d’un Diderot publiant peu par crainte de la censure dont il a souffert, une œuvre qui se révèle peu à peu jusqu’au milieu du XXe siècle. Voilà pour un volet. Le titre de leur introduction, bien campé sur ses infinitifs, annonce la couleur, celle du projet de Diderot et bien sûr du leur. Car il ne s’agit pas de proposer une économie de lecture, ni même de rappeler l’essentiel d’une lecture lointaine, mais bien d’inciter à lire, de recruter de nouveaux lecteurs. Donc, un travail de séduction par le truchement de Diderot lui-même, de son intelligence, de son écriture.

Les citations retenues provoquent, interrogent, obligent à réfléchir et parfois inquiètent ceux qui pensent Diderot d’une seule pièce. Comme cette citation inattendue : « Élargissez Dieu. » Les citations sur la croyance, la superstition sont bien du XVIIIe siècle. Notre histoire nous a appris que le fanatisme, l’intolérance ne sont pas l’apanage du religieux, que la croyance aveugle peut posséder le militant comme le superstitieux. D’autres citations semblent transhistoriques : « Mes amis, surtout songez que nous sommes tous sortis du fourneau de nature avec un coup de feu, une fêlure. » Ou même résonnent fortement en nous : « Le maître tâtonne moins que son élève, mais il tâtonne aussi. » Le Diderot ici présent nous apprend à douter pour mieux parvenir à être homme. Il engage avec son lecteur un dialogue en l’obligeant à s’interroger sur l’humanité, lui-même et le monde.

Souhaitons que ce petit livre enthousiaste, habile et bien fait atteigne son but, faire lire Diderot. Je le lui souhaite. Bon vent à sa carrière !

Jean M. Goulemot

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