La vie n'est jamais pauvre

Article publié dans le n°1101 (16 mars 2014) de Quinzaines

Marie-Claire Bancquart est née à Aubin, dans la région Midi-Pyrénées, mais son livre commence par un texte, mi-prose, mi-poésie, qui concerne la ville de Thérouanne, un bourg de l’Artois proche d’Arras, riche de passé et de vestiges.
Marie-Claire Bancquart est née à Aubin, dans la région Midi-Pyrénées, mais son livre commence par un texte, mi-prose, mi-poésie, qui concerne la ville de Thérouanne, un bourg de l’Artois proche d’Arras, riche de passé et de vestiges.

Quand César conquit la Gaule, la région, située à un carrefour de voies importantes, était habitée par des tribus belges. Flamande durant une partie du haut Moyen Âge, elle devint française au XIIe siècle. En 1553, Charles Quint ordonna de raser la ville. Sur ce qui en restait, il fit répandre du sel. Ont subsisté quelques vestiges : une partie de la cathédrale avec le Grand Dieu de Thérouanne (sculpture du XIIIe siècle), transféré dans la cathédrale de Saint-Omer :

« Posé sur la dalle
il ne le prend pas de haut
Il donne
tout ce qu’il peut donner : un peu de tendresse »

On déduit du texte suivant que l’auteur est d’origine flamande : « C’est un nom que tu as reçu d’un inconnu, voici quelques siècles. Seule information certaine : il possédait une charrette à bancs ». Mais on ne connaîtra pas ce nom puisque l’auteur porte celui de son mari.

Cette présence voilée des origines, effacée aussitôt évoquée, se retrouve tout au long de l’œuvre, comme si elle était à la fois indispensable et terrible. Le livre commente cela, une vie qui s’obstine, qui perdure sur une part maudite : celle, collective, de la guerre et des violences ; celle, individuelle, de la souffrance et de la maladie. Le lieu devient un « corps malade, survolé d’oiseaux qui ont peur », et le corps, « ligoté dans le lit que surmontent les mâts », s’agrandit en paysage.

Les habitants ont fui la ville de Thérouanne, « trop lourde pour qu’ils habitent, qu’ils travaillent au quotidien de tous ces morts ». De même, l’auteur fuit son passé, quitte à y répandre le sel, pour que la vie renaisse ailleurs, sous l’aspect d’un vent léger, quelques nuages, un arbre, la lune, un insecte, le regard d’un animal, deux bouleaux blancs, dans la proximité du très lointain, du très ancien, qui garantit la permanence.

La foi en Dieu n’est plus de mise. Demeure « comme sur une terre dévastée, la fin d’une adoration très ancienne », le va-et-vient entre l’infime ou l’anodin (la jument au pré, le chat sur la fenêtre) et l’infini géographique ou temporel. Il reste alors à se centrer sur l’essentiel, comme quand on est couché, malade, et que l’univers s’est rétréci à une chambre et à la vue de la fenêtre. À dire la douleur universelle en évoquant la sienne, « la mauvaise langue de la souffrance ». À s’étonner de son corps, non pas de sa partie visible, de sa surface, de sa périphérie, mais de son intérieur, si mal connu, cette étrangère, notre viande :

« Et si nous voulions caresser
un corps aimé par son dedans ? »

À ne jamais oublier que nous sommes « guettés », sans que la joie, l’ardeur fassent défaut. À s’enchanter, toujours, de la vision du chat qui dresse son oreille et du roux du renard.

Tels sont les « mots de passe », ils aident à franchir les seuils et les frontières : ceux et celles de la maladie, de la vieillesse,

« Un jour
nous n’arriverons plus à porter nos mains aux narines
à flairer notre propre peau
 »

et bientôt de la mort qui mettra un terme à « notre mystérieuse marche au milieu des mystères » et nous transformera en voyageurs d’une autre espèce car, devenus simples cellules, nous serons aptes désormais à circuler « d’être en être : gerbe, chien, caillou… ». Même réduite, même douloureuse, la vie n’est jamais pauvre, s’écrie avec une belle ferveur Marie-Claire Bancquart.

« À chacun son mot
très ordinaire
qu’il n’utilise cependant jamais.

Pour moi c’est : entrouvrir

L’obstacle
doit être au fond de moi
secret
violent

peut-être quelque livre abandonné dans les herbes :

sur lui
on se penche
on lit quelques lignes
et quand on se relève
le monde entier s’est coloré de noir. »

Marie Etienne

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