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Le dernier des machos

Article publié dans le n°1132 (16 juil. 2015) de Quinzaines

J’ai rencontré James Salter un an avant sa mort, dans les bureaux de son éditeur parisien, boulevard du Montparnasse. Pendant une semaine, j’avais lu et relu les quatre livres les plus en rappor...

J’ai rencontré James Salter un an avant sa mort, dans les bureaux de son éditeur parisien, boulevard du Montparnasse. Pendant une semaine, j’avais lu et relu les quatre livres les plus en rapport avec mon interview (1), dont Et rien d’autre, le dernier traduit, motif de son déplacement à Paris. 

Qu’est-ce que j’étais nerveux ! Mon angoisse tenait-elle à l’âge de l’auteur, celui de mon père à peu de chose près ? Ou bien au fait qu’on était tous les deux des juifs « honteux », lui né James Horowitz, moi qui avais manqué de peu m’appeler Shapiro, nom que mon père avait effacé quelques années avant ma naissance ? 

Sans doute mon état fébrile avait-il sa source dans des eaux plus profondes : Salter avait réalisé la vie que j’avais rêvée, celle d’un soldat sensuel ayant survécu à la guerre pour la raconter, et pour passer à la seule bataille qui vaille, celle entre un homme et une femme, qu’à l’exemple de Hemingway il avait située en France (Un sport et un passe-temps), en terre latine, loin des codes austères du pays des puritains.
Mais, justement, sur l’échelle du machisme, où exactement se situait-il ? Qu’allait-il penser de ce critique de La Quinzaine, un peu féminin, souvent comparé par son entourage à Woody Allen ? La réponse n’a pas tardé. J’étais arrivé aux éditions de L’Olivier très en avance, donc j’attendais à la réception lorsque le romancier – vêtu d’un costume d’été – et son attachée de presse sont entrés dans l’immeuble. Nos regards se sont rencontrés – il ne savait pas que j’étais celui qui allait l’interviewer – et j’ai lu dans ses yeux que c’était un homme doux, timide et sensible, l’antithèse de Hemingway. Ouf ! 

Ensuite, pendant les vingt premières minutes de notre entretien, c’est lui qui a posé les questions – comme tous les grands écrivains, il était très curieux. Il donnait l’impression de s’intéresser vraiment à moi, et j’y ai cru !

À tel point que, un peu plus tard, quand je l’ai aperçu assis avec sa femme à la terrasse de La Coupole, j’ai failli m’incruster dans leur déjeuner. Puis j’ai réfléchi à ce qu’aurait impliqué un tel acte : partager un repas n’est-il pas une expression parmi d’autres de la compétition masculine ? En dégustant vins et mets dans cette brasserie, aurais-je été à la hauteur des coauteurs de Life is Meals : A Food Lover’s Book of Days (inédit en français) ? Alors j’ai poursuivi mon chemin. 

  1. Voir NQL n° 1 111.
Steven Sampson

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