Sur le même sujet

A lire aussi

Les élus bien vêtus, les damnés nus

Historien, spécialiste des couleurs, des images et des symboles, médiéviste, Michel Pastoureau commente des photos précises de Vincent Cunillère, les images de l’art roman. Le décor sculpté est un enseignement théologique et moral qui s’offre aux lettrés et aux analphabètes. Les portails des églises romanes expliquent, catéchisent, convertissent.
Michel Pastoureau
Tympans et portails romains
(Seuil)
Historien, spécialiste des couleurs, des images et des symboles, médiéviste, Michel Pastoureau commente des photos précises de Vincent Cunillère, les images de l’art roman. Le décor sculpté est un enseignement théologique et moral qui s’offre aux lettrés et aux analphabètes. Les portails des églises romanes expliquent, catéchisent, convertissent.

Ici, neuf églises romanes offrent des scènes complexes et impressionnantes : Moissac (église Saint-Pierre), Beaulieu-sur-Dordogne (église de Saint-Pierre), Conques (église Sainte-Foy), Autun (cathédrale Saint-Lazare), Vézelay (basilique Sainte-Marie-Madeleine), Aulnay-de-Saintonge (église Saint-Pierre), Saint-Julien-de-Jonzy (église Saint-Julien), Arles (cathédrale Saint-Trophime), Saint-Gilles-du-Gard (église Saint-Gilles). Les portails immenses donnent à voir une multiplicité de figures humaines, d’animaux familiers et extraordinaires, de plantes stylisées, de structures architecturales.

Le portail est un accès, une ouverture, une entrée, une zone de transition. Le portail de l’église permet un passage, une communication du monde profane et de l’espace sacré. Il fait pénétrer le fidèle dans la maison du Seigneur ; il le conduit vers la voie du Salut. Dans l’Évangile de saint Jean, le Christ dit : « Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé. »

À l’extérieur de l’église et à l’intérieur, l’iconographie, la liturgie, la pastorale ont partie liée. Devant le portail, le décor sculpté peut être expliqué par les clercs. Les images sont accompagnées par des rites divers, des lectures, des sermons, des processions. L’iconographie met en exergue la lutte du Bien et du Mal. Les prédicateurs évoquent l’Enfer, les flammes, les tortures des damnés.

La sculpture monumentale du XIIe siècle serait souvent un art monastique. Selon l’historien Émile Mâle, les sculpteurs seraient probablement des moines ou « des artisans guidés par des moines ». Tout monastère possède une bibliothèque. La Bible, les Pères, l’exégèse, la théologie, les miniatures des manuscrits influencent les programmes iconographiques des portails et des tympans.

En Arles, sur le tympan de la cathédrale Saint-Trophime, c’est le Jugement dernier. Justicier et triomphant, le Christ en gloire tient un livre dans une main et bénit de l’autre. Les élus portent une toge ; les damnés, nus et enchaînés, avancent sur un chemin de flammes vers l’Enfer… Tu vois, sur le portail, les Rois mages et les têtes de leurs trois chevaux élégants, des apôtres, un ange qui joue du corps, la « Sainte Famille ».

À Vézelay, dans la basilique Sainte-Marie-Madeleine, le tympan du portail central représente la mission confiée aux apôtres après la Résurrection : convertir les nations. Dans sa gloire, le Christ est entouré des douze apôtres qui reçoivent le Saint-Esprit (sous forme de rayons). Les apôtres vont évangéliser les peuples étrangers. Alors, sur le linteau, s’avancent les archers scythes, les païens qui transportent des offrandes et de l’eau lustrale, ceux qui portent les pains, un taureau du sacrifice, un petit pygmée (qui utilise une échelle), un peuple avec de grandes oreilles monstrueuses, des mages arméniens, des hommes à tête de chien, des centaures, un sciapode (qui ne possède qu’une jambe gigantesque)… Au-dessus du tympan, les signes du zodiaque et les travaux des mois.

À Beaulieu-sur-Dordogne, dans l’église Saint-Pierre, sur son portail méridional, le Christ en majesté accueille les élus. Les bras étendus du Christ sont dans la position même de la Crucifixion : il est à la fois glorieux et douloureux. Et certains anges portent les instruments de la Passion… Se trouvent un griffon, un dragon à tête humaine, les damnés suppliciés et dévorés par des monstres.

Dans ces portails des églises romanes, les anges, les élus, les damnés, les saints, la Vierge Marie, la flore, le bestiaire forment un foisonnement ordonné. Apparaissent la lutte des Vertus et des Vices, la balance que porte saint Michel pour sauver et pour punir, les diables tordus, voraces et souvent grotesques. Se tisseraient les angoisses et la sérénité de la contemplation.

Gilbert Lascault

Vous aimerez aussi