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Naissance du poème

C’est la genèse du poème que nous restitue Pierre Dhainaut : en établissant une connivence avec les aquarelles de Caroline François-Rubino, la ligne horizontale des couleurs épouse le sillon des vers.
Pierre Dhainaut
Paysage de Genèse
C’est la genèse du poème que nous restitue Pierre Dhainaut : en établissant une connivence avec les aquarelles de Caroline François-Rubino, la ligne horizontale des couleurs épouse le sillon des vers.

Le bleu, s’il entre dans la composition légère d’une toile ou d’un poème, fait naître la lumière. Le gris et le noir font peser cette couleur.

Des mots du lexique maritime naissent les poèmes de la première partie : « vague », « plage », « houle »… Mais le tout « sans balises ». Le poète semble suivre la ligne d’horizon des peintures à l’horizontalité indécise et féconde. Où finit la mer ? Où commence le ciel ? À l’appel des poèmes, on entend les premiers sons balbutiés, répétés puis changés :

Buée grise, nuée grise, entre ici et là-bas,
très loin de l’un comme de l’autre,
écartelés, où donc ? […]

Cela commence par un élan, une question. Une alliance se fonde entre le peintre et le poète pour que le paysage créé génère ses correspondances. Les mots et les couleurs, les sons et les reliefs ouvrent une voie commune. Cet « espace d’échanges » deviendra le livre dans lequel tout est suggéré :

Ce n’est pas l’aube encore et ce n’est plus la nuit

Cet alexandrin désigne un moment sans nom, un mot qui n’existe pas. Ce qui devient, sans frontière, opère l’estompe constante des limites, carcan que le poème ne peut assumer. Sa vocation, autre, le lie au « vent[1] », au « souffle », à l’« haleine ». Le poème ranime, toujours il attise et ne se résigne pas. Rien n’est clos, même la nuit (encore un écho de ses titres[2]) enfante les mots. La terreur ne saurait rester muette, puisque le poème, fait pour naître avant même qu’il soit, tend son possible.

Comme il le fait maintenant pour tous ses livres, Pierre Dhainaut joint à ses poèmes une série de « notes » : réflexions, recommandations, souvenirs, remarques…

La troisième partie, « Au mot luciole de commencer », propose des dessins inscrits dans un cercle. Les poèmes sont constitués d’une suite de tercets qui racontent comment sont donnés les mots qui formeront le poème ; comment, de la faible lueur de la « luciole », le poème peut éclairer la « nuit noire ». De l’« aube » à l’« aubier », le poème se développe et chaque aquarelle, si l’on est attentif, révèle la présence d’une luciole : 

À travers l’écorce,
il en a la force, le poème
voit l’aubier grandir. 

Ainsi, « ride après ride », le poème-visage, plage et paysage, « aux yeux d’enfant », se développe. La vie traverse l’espace, l’être ; lorsqu’elle s’éloigne, c’est pour faire battre ailleurs son cœur fécond. Le poème la garde ouverte pour que nous lisions, sans cesse, inépuisable, le poème qui sans fin toujours commence. Aux lecteurs de rester « à l’écoute »

[1]. Pierre Dhainaut nous a appris que « poésie » est L’Autre Nom du vent (L’Herbe qui tremble, 2014).
[2]Même la nuit, la nuit surtout (livre d’artiste, avec Marie Alloy, Le Silence qui roule, 2012). Mais aussi : La Nuit, la nuit entière (Æncrages & Co, 2011).

Isabelle Lévesque

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