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Panaït Istrati vivant

Article publié dans le n°1138 (01 nov. 2015) de Quinzaines

Panaït Istrati (1884-1935) fut le « Gorki des Balkans », selon l’expression de son ami et mentor Romain Rolland. Célèbre dans les années 1920-1930, ce brillant conteur était tombé dans un oubli relatif, en dépit des rééditions. Biographie autant qu’hommage, le livre de Jacques Beaujard nous aide à (re)découvrir cet auteur nécessaire.
Jacques Baujard
Panaït Istrati L'amitié vagabonde
Panaït Istrati (1884-1935) fut le « Gorki des Balkans », selon l’expression de son ami et mentor Romain Rolland. Célèbre dans les années 1920-1930, ce brillant conteur était tombé dans un oubli relatif, en dépit des rééditions. Biographie autant qu’hommage, le livre de Jacques Beaujard nous aide à (re)découvrir cet auteur nécessaire.

Les lecteurs d’Istrati sont fervents, mais rares. Rares, car cet auteur qui connut la gloire de Paris à Moscou n’eut jamais l’honneur douteux d’entrer dans un panthéon littéraire. Être un prolétaire roumain d’expression française n’aida guère. La plupart des librairies le classent d’ailleurs en littérature roumaine, lui dont aucune des grandes oeuvres ne fut rédigée dans cette langue. Lui qui avait appris le français en autodidacte, notamment en tapissant sa chambre des pages de son dictionnaire. Plus dommageable encore à sa mémoire fut la virulente campagne de dénigrement menée par le Parti communiste français dans les années 1930. Car ce révolutionnaire était aussi un opposant déterminé au soviétisme après un long voyage en URSS. Emplie d’une passion pour la justice sociale, la relation qu’il fit de ce périple (sept ans avant Gide !) devait lui attirer la vindicte des staliniens, Henri Barbusse en tête.

Couvert d’un injuste opprobre, Istrati finit ses jours dans l’isolement et l’amertume. Avant cela, il avait été docker sur le Danube, photographe itinérant en France et en Suisse, peintre en bâtiment partout, gréviste, amant et arpenteur déshérité de la Méditerranée 1900, d’Athènes à Alexandrie. C’est là la matière de ses tumultueux romans, à la jonction du récit d’aventures et de la littérature de voyage. De cette vie hors du commun, Jacques Beaujard fait un vibrant récit dans Panaït Istrati : L’amitié vagabonde. Membre de la librairie parisienne Quilombo, ce jeune auteur contribue à l’actuel regain d’intérêt pour Istrati. Introduction à une oeuvre trop peu lue, ce petit ouvrage rend palpable une camaraderie pérégrine toujours à la recherche de territoires affranchis des contraintes sociales.

L’exaltation de ces textes interdisait une analyse à tête froide ou une sage narration. Subjectif, ce livre est donc, entre autres, un dialogue ponctué d’interjections enthousiastes et d’étonnantes adresses à Istrati : « Non, Istrati, rassure-toi, tu es loin d’être seul. Et si les amis d’autrefois ne sont plus, ceux d’aujourd’hui et de demain sont bien présents. » Entre les lignes se fait jour l’intensité d’une rencontre littéraire. De celles qui font prendre des chemins insoupçonnés à une existence. Ou donnent envie de partir subitement dans le fin fond de la Roumanie. C’est ce qui est arrivé à Beaujard, et à bien d’autres lecteurs d’Istrati... Même, emporté par son empathie, le biographe en vient parfois à mimer la tonalité effusive caractérisant l’écriture istratienne. Cette contamination stylistique convainc, tant le lyrisme de cet opuscule résonne avec les pages si poignantes d’humanité du romancier.

Redécouvert à intervalles réguliers par les mouvances libertaires et les amateurs de péripéties orientales, Istrati n’avait en vérité jamais disparu. C’est que, pour paraphraser Marx parlant de la révolution, l’oeuvre d’Istrati est « une vieille taupe qui sait bien travailler sous terre pour apparaître brusquement ». Longtemps enfouie dans l’obscurité éditoriale, la voici qui émerge de nouveau. Cette réapparition aujourd’hui n’est pas fortuite. Elle correspond aux besoins émotionnels et politiques de nouvelles générations.

Signalons aussi la réédition d’une somme désormais classique : Panaït Istrati : Un chardon déraciné, de Monique Jutrin, aux éditions de L’Échappée.

Ulysse Baratin

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