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Rendez-vous de juillet

Article publié dans le n°1018 (01 juil. 2010) de Quinzaines

    Côté cinéma, la traversée de l’été, pour les amateurs restés à la ville, a longtemps constitué une épreuve, sauf à se résoudre à revoir pour la quinzième fois les rétrospectives Bergman ou Hitchcock, floraisons rituelles du mois d’août, ou accepter d’ingurgiter sans barguigner les fonds de tiroirs bradés par les distributeurs américains bas de gamme. La chose n’était d’ailleurs pas si dramatique, et la dérive urbaine au fil de ces longs jours alcyoniens (la météo ne les avait pas encore fait disparaître) permettait la trouvaille, dont la rareté faisait le prix – combien de films, passés à la trappe aussitôt qu’apparus, chefs-d’œuvre définitivement inconnus du troisième rayon à faire miroiter devant les yeux des bronzés de retour des plages. Mais ceci se passait en des temps très anciens. Le désert estival est désormais aussi peuplé que le reste de l’année.

FESTIVAL PARIS CINÉMA
du 3 au 13 juillet


RÉTROSPECTIVES
AKIRA KUROSAWA et RICCARDO FREDA
Cinémathèque française, jusqu’au 1er août

    Côté cinéma, la traversée de l’été, pour les amateurs restés à la ville, a longtemps constitué une épreuve, sauf à se résoudre à revoir pour la quinzième fois les rétrospectives Bergman ou Hitchcock, floraisons rituelles du mois d’août, ou accepter d’ingurgiter sans barguigner les fonds de tiroirs bradés par les distributeurs américains bas de gamme. La chose n’était d’ailleurs pas si dramatique, et la dérive urbaine au fil de ces longs jours alcyoniens (la météo ne les avait pas encore fait disparaître) permettait la trouvaille, dont la rareté faisait le prix – combien de films, passés à la trappe aussitôt qu’apparus, chefs-d’œuvre définitivement inconnus du troisième rayon à faire miroiter devant les yeux des bronzés de retour des plages. Mais ceci se passait en des temps très anciens. Le désert estival est désormais aussi peuplé que le reste de l’année.

La preuve : 35 films sont annoncés entre le 30 juin et le 28 juillet, 39 entre le 4 août et le 1er septembre. Et pas du rebut, des titres tombés du camion et revendus à la sauvette. Au hasard et dans le désordre : le dernier Stephen Frears, Tamara Drewe, dont on a déjà évoqué tout le plaisir qu’il dispense, les suites 2 et 3 de Millénium, et la hâte de retrouver Noomi Rapace en Lisbeth Salander, L’Autre Monde (Gilles Marchand) et Chatroom (Hideo Nakata), variations pertinentes sur la vraie et la fausse vie de personnages et leurs avatars virtuels sur Second Life, Tournée (Mathieu Amalric) et son bataillon de superwomen désarmantes. Sans oublier des noms toujours estimables, Michael Winterbottom (The Killer Inside Me), Silvio Soldini (Ce que je veux de plus) et surtout Bertrand Blier, dont Le Bruit des glaçons est assurément ce qu’il a réussi de plus dérangeant depuis le début du siècle. Et pour les curieux d’objets étranges, Djinns (Hugues et Sandra Martin), hybride de La Patrouille perdue et de La Féline, qui mêle, un peu maladroitement, le mythe d’Antinéa, la guerre d’Algérie et l’opération Gerboise bleue… Prière de se reporter à son hebdomadaire habituel afin de ne rien rater.

Osons avouer que la manifestation organisée par notre Mairie, Festival Paris Cinéma (espérons que l’agence qui a planché pour trouver ce nom l’a fait gratuitement), ne nous avait pas jusqu’à présent convaincu de son intérêt extrême. Sans doute parce que, chaque année, peu avant cette même date, les merveilles anciennes redécouvertes à Bologne lors de son festival Il Cinema ritrovato nous purgent de toute envie de films modernes, et des strass et paillettes qui les accompagnent. Pourtant, le programme 2010 retient l’attention. D’abord, parce que les huit films en compétition sont signés, pour la plupart, par des inconnus, ce qui est toujours appétissant. Ensuite, parce que la cinquantaine de films présentés en avant-premières inclut tout ce qui a compté à Cannes récemment, compétition et sections parallèles comprises ; seuls le fouet ou le Taser pourraient nous contraindre à revoir les grands vainqueurs du Festival, Oncle Boonmee et Des hommes et des dieux, mais les deux films coréens The Housemaid (Im Sangsoo) et Poetry (Lee Chang-dong) valent à eux seuls le déplacement – surtout le second, notre Palme d’or de cœur, magnifique méditation sur la vieillesse –, ainsi que l’étonnante série de comédies françaises de qualité, tout arrive, Le Nom des gens (Michel Leclerc), Copacabana (Marc Fitoussi) et Pieds nus sur les limaces (Fabienne Bertheaud). Et dans la catégorie rattrapage, Map of the Sounds of Tokyo, remarquable film d’Isabel Coixet, honteusement abattu par la critique à Cannes 2009 et qui a bien failli ne jamais être distribué. Enfin, pour revenir au programme général, outre des hommages à Koji Wakamatsu et Sadao Yamanaka, dont les œuvres ne sont pas très connues sur nos rivages, une quarantaine de films japonais inédits… Le seul problème qui se posera durant la décade étant celui des choix écartelants – et de la digestion d’un tel banquet, aussi chargé que le pot-au-feu de Dodin-Bouffant.

Côté consistance des programmes, la Cinémathèque française n’a pas voulu être en reste. Et à peine terminées les rétrospectives Robert Siodmak et Robert Mulligan, qui ont permis de vérifier que ce dernier était un des cinéastes américains les plus attachants et les plus méconnus dont la filmographie ne se réduisait pas au magnifique Du silence et des ombres ou à Un été 42, elle annonce pour juillet deux autres explorations passionnantes. Peu de liens entre Akira Kurosawa et Riccardo Freda, sinon qu’ils sont chacun des maîtres dans leur catégorie respective, l’un dans l’épique, l’autre dans le bout de ficelle. On croit tout connaître du premier, reconnu dès Rashomon (1950) comme un des plus importants réalisateurs mondiaux – ce qui ne lui permit pas pour autant de tourner comme il le désirait : s’il signa vingt-cinq films en vingt ans, de La Légende du grand judo (1943) à Entre le ciel et l’enfer (1963), il ne put mener à bout que huit projets durant ses trente dernières années, entre Barberousse (1965) et Madadayo (1993). Si le souvenir de ses œuvres tardives, Rêves ou Rhapsodie en août, est encore proche, la possibilité est bienvenue de mettre en perspective ses titres anciens, pour voir par exemple comment son adaptation du Roi Lear (Ran, 1985) répond à celle de Macbeth (Le Château de l’araignée, 1957). La renommée justifiée des Sept Samouraïs (1954) – ici offert dans sa version de 207 minutes – et la grandeur de ses fresques féodales, La Forteresse cachée (1958) ou Kagemusha (1980) ne doivent pas faire oublier qu’il fut également un maître du film policier : Chien enragé (1949) et Les salauds dorment en paix (1960) sont deux chefs-d’œuvre, qui témoignent précisément de l’état de la société japonaise du moment. Et le grand intérêt de l’hommage est de nous faire découvrir des titres jamais vus, tels Le Plus Beau (1944) ou La Nouvelle Légende du grand judo (1945), ainsi que de nous faire comparer dans le rôle principal du Garde du corps (1961) et de ses divers remakes, Toshiro Mifune, Clint Eastwood et Bruce Willis. Pareille fête ne se refuse pas.

Riccardo Freda ne plane pas au-dessus des mêmes cimes, puisque tout au long d’une carrière de quarante années, il explora tous les détours de ce que l’on n’appelait pas encore les « mauvais genres », mais simplement le film populaire du samedi soir, en fonction des modes – mélodrames, cape et épée, péplums, épouvante, western, espionnage. Adaptant sans états d’âme Hugo, Stendhal, Dumas ou Tolstoï, il fit preuve, à cause des moyens dérisoires souvent alloués, d’une invention constante, servie par une culture artistique réelle, et ses péplums, Le Géant de Thessalie (1960) et surtout Maciste en enfer (1962) sont, avec ceux de Vittotio Cottafavi, parmi les plus dignes d’être revus. Il fut, au milieu des années 60, très estimé par des cinéphiles pointus (1), ceux qui, selon le programme de la Cinémathèque, « hypostasiaient l’idée de mise en scène seule susceptible de transsubstan­tier un matériau échappant à l’art ». On pouvait le dire plus simplement, mais il y avait de ça dans l’admiration éprouvée pour l’auteur des Misérables, version 1948 (avec un Gino Cervi-Jean Valjean très convaincant), du Château des amants maudits (1956) ou de Sept épées pour le roi (1962). On trouve dans tous ces films sans gloire un plaisir immédiat et une fraîcheur naturelle bien oubliés ; on ne connaît pas L’Iguane à la langue de feu (1971, polar tourné sous pseudonyme), mais le commentaire de l’auteur : « C’était le chevalier d’Éon au pays de Psychose » nous incite à en attendre beaucoup. Savourer en parallèle des mondes aussi éloignés que ceux de Kurosawa et de Freda est une heureuse manière de supporter un été qui s’annonce disgracieux.

1. Dont Bertrand Tavernier, qui lui permit de commencer son ultime film, La Fille de d’Artagnan (1994), avant de le remplacer sur le tournage.

Lucien Logette

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