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Résistance dans la critique

Article publié dans le n°1022 (16 sept. 2010) de Quinzaines

 La critique littéraire a mauvaise presse. Et les articles publiés, dans la plupart des journaux et des mensuels en hérissent plus d’un. Elle passe tantôt pour le terrain d’élection du favoritisme et du népotisme, tantôt pour le faire-valoir de l’arrivisme et de la convoitise, le discret décor des tripotages et autres fricotages. Au mieux, elle revêt les apparences d’un brillant, mais vain, exercice de style. Une armée de folliculaires obséquieux contribuent à cette réputation, et donnent de la critique littéraire une image disgracieuse, entachée de cynisme et caractérisée par la ruée vers les places et les prébendes.
 La critique littéraire a mauvaise presse. Et les articles publiés, dans la plupart des journaux et des mensuels en hérissent plus d’un. Elle passe tantôt pour le terrain d’élection du favoritisme et du népotisme, tantôt pour le faire-valoir de l’arrivisme et de la convoitise, le discret décor des tripotages et autres fricotages. Au mieux, elle revêt les apparences d’un brillant, mais vain, exercice de style. Une armée de folliculaires obséquieux contribuent à cette réputation, et donnent de la critique littéraire une image disgracieuse, entachée de cynisme et caractérisée par la ruée vers les places et les prébendes.

Jean-Edern Hallier, qui publiait Fin de siècle, raconte : « Quand j’étais en vacances chez Sauvageot cet été 1980, j’ai rendu visite à Jean d’Ormesson. Il y avait là Maurice Rheims et François Nourrissier : il n’aimait pas mon livre. Mais d’Ormesson l’a poussé à faire le papier, et l’a corrigé. Quand il a été prêt, les gens du Point me l’ont soumis avant publication. » On connaît de plus récentes anecdotes, mais non de plus édifiantes.

Si l’on définit a minima la critique comme un jugement pertinent qu’un esprit judicieux porte sur les ouvrages littéraires, force est de constater qu’elle est devenue presque impossible. Instruit dans l’idée qu’il est préférable d’ignorer un livre plutôt que de requérir contre lui ou contre son auteur, le critique a tôt fait de comprendre qu’il vaut mieux, et dans son propre intérêt, se soumettre aux oukases des rédactions. C’est que le critique a lui aussi des ambitions et l’exercice de critique n’est qu’une manière de se forger une réputation qui facilitera plus tard l’entrée dans la carrière, la vraie, celle où paillettes, télévision et célébrité viendraient bénir tant de services rendus.

Derrière les ors de la république des lettres se dissimulent les mœurs délétères d’une monarchie absolue. Le journaliste sait que la liberté dont on se prévaut a tous les appâts de l’illusion. Quant à son statut, il est celui d’un commis aux écritures, chichement appointé. Et ma foi, si sa conscience se soulève, qu’il se démette. Ils ne sont pas nombreux ceux qui ont le courage de se dresser face à cette situation liberticide, d’oser tendre aux auteurs le miroir de leur médiocrité, de refuser d’abdiquer leur faculté critique.

Pendant un quart de siècle, Angelo Rinaldi a incarné l’esprit de la résistance face à la médiocrité envahissante de la production littéraire. Ses chroniques, réquisitoires et comptes-rendus élogieux, étaient attendus avec impatience. La critique littéraire retrouvait des couleurs, s’affranchissait des pratiques qui la déconsidéraient et retrouvait son pouvoir de consécration. Enfin, il en était au moins un qui s’acquittait consciencieusement de sa tâche : marquer les réussites et les tares des livres, signaler des auteurs méconnus, saluer de nouveaux talents, et surtout servir de guide aux lecteurs.

Le premier à subir les foudres de Rinaldi a été Alain Robbe-Grillet qui publiait Topologie d’une cité fantôme. Selon Rinaldi il s’agissait là d’une « œuvrette où perd son souffle » un auteur « qui n’en eut jamais beaucoup ». Rinaldi y stigmatisait des « scènes à la dérive, phrases en débandade et sans musique, lourdeurs de procès verbaux traduits du bas-saxon, entassements de descriptions et d’inventaires dignes des catalogues de l’Hôtel-Drouot » et le coup de grâce ne tarda pas : « Ce n’est pas un hasard si dans l’Espagne de Franco on a traduit Robbe-Grillet et interdit Genet. » Mais beaucoup d’autres suivront : « Pourvu qu’il ait l’impression d’être en selle, M. Sollers saute sur la première haridelle qui se présente. Maintenant désarçonné et à la remorque du crépitant Bernard-Henri Lévy, il découvre l’Amérique et la Bible. On n’ira pas le reprocher à qui fera dans la Chine du sanglant Mao un voyage de M. Perrichon idéologue. » Quant à Kristeva, qui poursuit son chemin de croix méritoire sur la voie d’un genre romanesque pour lequel elle n’a visiblement guère de talent : « Il y a du pharisaïsme à contrefaire ainsi l’artiste en sa solitude et sa douleur quand on est comme une souris logée au plus profond de l’onctueux fromage de l’establishment qui n’y regarde pas aux coups de dent, qui a ses relais, ses revues, ses télés, ses éditeurs, ses entrées dans les journaux du bel air, ses correspondants à l’étranger. » Rinaldi complimente Michel Tournier de donner une vigueur à un roman français grabataire saigné par les « morticoles de l’avant-garde officielle qui pour l’avoir saigné sans discernement, comme des médecins de Molière, avaient précipité son agonie ».

Une critique littéraire digne de ce nom, c’est, rappelons-nous, ce n’est pas si vieux, Blanchot et Deleuze qui dissèquent Proust, c’est Henri Mitterand ou Henri Guillemin qui se penchent sur l’œuvre de Zola, c’est Starobinski ou Merleau-Ponty qui évoquent Claudel, c’est Sartre qui explique L’Étranger ou qui taille en pièces Mauriac, c’est enfin Nadeau. C’est la culture littéraire ou philosophique alliée à un goût littéraire sûr qui se mobilise pour ausculter romans et essais. Le critique littéraire ne peut ignorer que Claudel a célébré Pétain, que Guillevic écrivit une ode à Staline, que Mounier fut ébloui par la vitalité des fascismes.

Dans un état critique rassemble 120 chroniques parues, entre 1998 et 2003, dans Le Nouvel Observateur où Rinaldi a trouvé asile après son départ de L’Express. Pareil à un alligator aux aguets, il passe au crible d’un jugement sans concession tout ce que la vague éditoriale charrie de vaisseaux de fort tonnage, d’esquifs et d’épaves. Rinaldi brocarde le narcissisme de certains écrivains, à qui une certaine consécration fait perdre la mesure. George Steiner, qui annonce en s’en félicitant le triomphe planétaire de l’« américain basic », se voit opposer la figure de Georges-Arthur Goldschmidt. Le parcours de Goldschmidt, décrit par le menu dans La Traversée des fleuves (Seuil, 1999), illustre l’universalité de la langue française. Rinaldi n’omet pas de signaler les travaux solides, l’enquête menée par Olivier Todd sur Malraux et en tire une leçon rassurante pour ceux qui ne sont pas nés dans la soie. Évoquant Paulhan, Rinaldi relève son intérêt marqué pour le langage et estime que si on avait « à caser le manuscrit d’un roman, on eût préféré s’adresser à Maurice Nadeau, qui est franc du collier. Son palmarès de chasseur de tête – étrangers et français – est bien plus riche ». On est enfin ému du geste chevaleresque de Robert Desnos qui, recherché par la Gestapo, ne prend pas la clé des champs, « de peur d’exposer Youki, sa compagne et sa muse » à la question.

Contrairement à une formule frappée au coin de la rancœur, la critique littéraire n’est pas « un impôt que l’envie perçoit sur le mérite », les travaux de Rinaldi le montrent, lui qui étrilla un nombre considérable de faux talents et d’écrivains travestis. Ceux en somme que les historiens non stipendiés de la littérature ne mentionneront pas.

Dans notre époque qui semble avoir soufflé les chandelles de l’impertinence, caractérisons le critique littéraire comme « un amateur de littérature qui ne souffre pas de la voir prostituée » et cherchons la perle rare.

Omar Merzoug

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